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Récit de Yves Morvan

Yves MORVAN est tout jeune adolescent (15 ans en 1940) au moment où s'installe l'armée allemande d'occupation dans la région. Avec sa famille, il habite une exploitation agricole près de Kerhornou sur la commune de Ploumoguer à proximité de la plage ; redoutant un hypothétique débarquement, les Allemands y installeront casemates et défenses. C'est dans ce contexte qu'Yves connaîtra une jeunesse mouvementée entre le travail quotidien sur la ferme, les réquisitions allemandes et les activités de renseignement (photos des places fortes, blockhaus, champs de mines), les réceptions de parachutage en 43-44 puis la Résistance armée.

Agent secret, chargé des renseignements

"J'avais 15 ans quand les Allemands sont arrivés et mes parents tenaient une ferme de l'autre côté de Porsmoguer. Nous avons été désignés par la mairie de Ploumoguer pour fournir quotidiennement du lait au poste de D.C.A. installé dès leur arrivée. Il y avait d'ailleurs un poste de chaque côté de la plage mais celui de Kerhornou était beaucoup plus important. Matin et soir nous devions fournir le lait et une fois par semaine nous étions réquisitionnés pour aller chercher des vivres au Conquet ou à Plouarzel parfois, en char à bancs.

J'avais un appareil photo que j'avais reçu par des amis de la famille. Un jour l'un des soldats allemands, PETER, l'a vu posé sur la table. "Tu ne serais pas content de prendre des photos du poste ?" "Pourquoi pas !" Il voulait les envoyer dans sa famille à Hambourg. Cuisinier et pâtissier dans cette ville, c'était un hitlérien, possédant sa carte du parti, mais cependant un chic type. Il est resté 4 ans au poste de Kerhornou. J'ai donc pu prendre les photos : le matériel, les canons de 88, des mitrailleuses lourdes anti-avions, les projecteurs et un énorme groupe électrogène occupant toute la largeur de la route (5 mètres) ; les blockaus étaient encore à l'état de construction. Un jour, un ami venu de Brest chercher une livre de beurre et des oeufs a vu les photos, car on m'avait appris à les développer. André GENTIL de Plouzané m'avait initié à ce travail ; c'est également lui qui avait trafiqué le poste T.S.F. ; il fonctionnait grâce à une batterie. Il fut suffoqué de voir les pièces de D.C.A., les Allemands... C'est ainsi que je suis rentré dans la Résistance, comme agent de renseignement. Les actions se limitaient à quelques sabotages très limités dans les premiers temps. Les Allemands étaient nombreux dans la région et il était difficile de former un véritable groupe de résistance. On formait un petit groupe qui comprenait, moi-même, mon frère, un cousin matelot ; notre chef était un second-maître, infirmier dans la Marine. Il y en avait d'autres que je ne connaissais pas, c'était très cloisonné ! Il y avait des noms de code ; moi, c'était PORZ ; tous les papiers ont été brûlés lorsque j'ai été fait prisonnier. J'avais des armes, oui ! La première fut un pistolet 6-35, trouvé en bêchant un jardin chez un oncle à Saint Pierre ; il l'avait caché avant de partir à Dakar sur le "Richelieu". Mais il était strictement interdit de tirer. Si j'avais abattu un Allemand, je passais à la ... casserole. Il n'y avait pas de cadeau, j'étais prévenu. Ce même jour on m'a procuré un appareil extra-plat que j'ai du aller chercher chez un commerçant, en haut de la rue de Siam, situé à 50 mètres de la Kommandantur. Chaque fois que j'étais de corvée de vivres avec Peter, je l'amenais avec moi. Lui ne disait pas grand-chose quand je le lui montrais, il était occupé par ses vivres, mais il fallait tout de même faire attention.

Quand un avion tombait, américain, anglais ou canadien, je me rendais sur les lieux pour tenter d'avoir les noms des personnes et les photos des appareils. J'avais 16 ans à l'époque et c'était plus facile pour moi de me déplacer que pour une personne plus âgée. D'ailleurs deux photos sont parues dans l'hedomadaire américain "LIFE", mais seulement à la fin de la guerre, dont celle d'un bombardier, une forteresse volante, tombé à Mescouezel près de la Trinité Plouzané après avoir été touché de plein fouet par la Flack de Brest et de Kervélédan et achevé par les avions de chasses allemands. Averti par les gars de Locmaria, je m'étais rendu sur place ; les habitants du quartier avaient déjà enterré les corps. Un factionnaire se tenait près de la carcasse encore fumante de l'appareil, une forteresse volante. Mon obsession : prendre un cliché ! J'avais terminé quand je me suis dit que je pourrais prendre une bonne dernière ! Trop tard, les Allemands m'ont vu et averti qu'ils me dénonceraient à la Gestapo ... Sur la pellicule se trouvaient également des photos des Blancs Sablons ! Comment faire ? J'ai essayé de détourner leur attention en vantant les fleurs qu'ils avaient placé autour des tombes sommaires...

Dans la maison, nous avions un poste de T.S.F., bien caché dans un placard, "an armel werrig", près de la fenêtre et une antenne d'une trentaine de mètres qui dépassait des arbres entourant les bâtiments de la ferme. Avec mon père, nous écoutions Londres tous les soirs pendant que ma mère et ma soeur surveillaient..Les Allemands la voyaient bien mais si au début, ils étaient indifférents à sa présence, vers la fin de la guerre, ils sont devenus plus secs "Vous, terroristes !". Mon père l'a d'ailleurs enlevée lorsque j'ai été arrêté à Trézien et ma famille est partie se cacher craignant des représailles... Lorsque des messages urgents devaient être envoyés en Angleterre, nous nous rendions à Locmaria où se trouvait un poste émetteur récepteur. Je cachais les messages sous la selle du vélo préalablement démontée. L'un des meilleurs coups de la Résistance, je l'ai réalisé au Conquet, à la Kommandantur située au Beauséjour. J'étais parti avec le cuisinier Peter pour une tournée de vivres. Mon père m'avait demandé de passer chez un oncle, Jean RAGUENES, marchand de vin au Conquet, et de ramener la ration de vin du mois. En plus des vivres, Peter doit prendre les plans du champ de mines de Porsmoguer. Les barbelés sont en place depuis plus de deux mois. C'est l'un de ses camarades, originaire également de Hambourg, qui s'occupe des plans ; il est responsable du Conquet jusqu'à la pointe du Corsen. Il m'a paru assez sympathique, parlait et plaisantait beaucoup. La semaine précédente, j'avais remarqué qu'il n'y avait pas trop d'ordre dans ses plans de champs de mines ; certains sont en plusieurs exemplaires. L'un d'entre eux avait particulièrement attiré mon attention : tous les champs de mines du Conquet à Ilien étaient sur une même feuille, avec tous les détails (mines anti-char, anti-personnel, hauteur, distances entre chaque rangée). Avec la vieille jument noire "Jeannick", nous sommes au Conquet vers deux heures et demie. Je vais d'abord prendre le vin chez le cousin, stupéfait de me voir escorté par un Allemand. Je lui explique ce qu'il en est et lui conseille de faire goûter le plus possible de vin à Peter. Mes deux caisses de vin sont vite remplies et je demande deux bouteilles améliorées. J. RAGUENES connaît mes activités dans la Résistance et me recommande la plus extrême prudence. Lorsque nous arrivons à Beauséjour, les bureaux sont déjà fermés. Les Officiers sont partis pour une réunion à Brest. Qu'à cela ne tienne, son copain Walter l'attend. Tout est prêt ; dans la salle des cartes, règne toujours un peu de désordre. Voici le plan du champ de mines de Porsmoguer. Deux sont pour Peter mais il estime qu'un seul lui suffit. Nous passons dans une pièce près de la cuisine, pour un casse-croûte qui paraît assez copieux. Peter est déjà bien émêché avant de passer à table. Il est temps d'agir ; je dis à Peter que je vais prendre une bouteille de vin à la voiture ; en passant par la salle des cartes (il n'y a pas un chat), j'en prends trois (tous les champs de mines de Saint Matthieu au Corsen) ; un étui se trouve à proximité. Ouf ! Je suis à la voiture où la vieille jument s'impatiente. Je mets l'étui dans la cache prévue à l'avance, sous les deux caisses de vin avec une bâche par-dessus. Je m'en retourne voir Peter, avec mes deux bouteilles. Je tremble un peu et n'ai qu'une hâte, partir. Encore une demi-heure ! Je demande à Walter de m'aider à charger les vivres et le plan pour Peter, qui n'en peut plus. Nous quittons rapidement ces lieux malsains et sommes de retour à la tombée de la nuit. Les autres se tordent de voir dans quel état se trouve leur cuistot. Je rentre à la ferme et le soir même j'apporte les plans à mon chef de secteur, LALA. Il n'en revient pas ; tout est détaillé. Il venait justement de recevoir de Londres une note demandant la nature des mines placées dans la région.

J'ai eu, durant les mois d'hiver du début 43, à la maison, un officier anglais venu pour visiter les postes de D.C.A., la "Flag". Il n'arrivait pas à croire que je pouvais rentrer dans le poste allemand comme dans ma propre maison ! Nous avions un terrain à côté, travaillé et soigné, je peux te l'assurer ! Je m'étais arrangé pour charruer le champ le lendemain de son arrivée. Il parlait parfaitement le français, sans aucun accent. Je lui appris quelques bribes de breton. Un grain survient et Peter d'appeler : "Come ! Vous allez prendre un café !" et a demandé à un factionnaire de tenir les chevaux.

Sabotages

En plus de la recherche de renseignements l'action des résistants consistait à effectuer des sabotages ; il furent relativement peu nombreux dans la région en raison du nombre réduit de combattants de l'ombre dans les premières années de guerre, de la présence nombreuse d'occupants dans la zone côtière. Lorsque les maquis se développeront, notamment à Tréouergat où je me suis rendu plusieurs fois, en 43-44, habillé en cultivateur, la faucille ou la hache sur l'épaule, les actions se multiplieront. Ainsi quand QUEMENEUR, traumatisé par la guerre 14-18, fut arrêté puis condamné à mort pour avoir coupé un câble téléphonique, j'ai coupé à divers endroits des cables pour tenter de l'innocenter. Il n'y a rien eu à faire et les communes de Plouarzel et de Ploumoguer furent contraintes de surveiller les lignes durant un mois et de payer une amende. Un autre genre de sabotage pouvait consister dans la détérioration du matériel allemand et en particulier de leurs moyens de locomotion. Les Allemands étaient nombreux à se rendre dans les fermes acheter du beurre, des oeufs et même de la viande... C'est ainsi qu'un jour des feldgendarmes, en side-car, viennent dans une exploitation que nous connaissions pour vendre facilement des produits à l'occupant (notre rôle consistait à mettre en garde ceux qui gagnaient de l'argent facile : avertissement oral, ou pose devant une porte, la nuit, d'un petit cercueil...). Le side-car devait s'arrêter à quelques deux cents mètres de la maison, le reste du chemin devant se faire à pied. Que faire ? Saboter la moto ? Les soldats risquent de prendre des otages ... J'ai pris du sucre et j'en ai mis tant que j'ai pu dans le réservoir de la moto. La moto a démarré puis ... Plus tard nous avons reçu un produit spécial qui mettait carrément les moteurs "en l'air" !

Arrestations

J'ai été arrêté 5 fois. La première fois, c'était en 40, en mer à Porsmoguer. Le chef de section m'avait demandé d'aller au large pour tester les réactions des Allemands des Blancs Sablons au Corsen dans le but éventuel d'évacuer des aviateurs. Mais on a été coincé ; les Allemands ont tiré à la mitrailleuse devant le bateau. Nous avons été envoyés au poste jusqu'à la Feldgendarmerie. Ce sont deux filles PERHIRIN de Ploumoguer, qui nous ont sauvé cette fois-là ; elles tenaient un bistrot fréquemment fréquenté par les Allemands. "Vous voyez bien que ce ne sont pas des terroristes !"... Puis deux fois en 42 ! Placé dans un four à pain comme tous les anciens fours que l'on voit à la campagne, au bourg de Ploumoguer, tout à côté de la Kommandantur ! François MENGUY m'avait vu. Il faisait nuit et il est venu discuter avec les factionnaires. Le four avait été fermé avec une plaque de ferraille ; cependant il restait un "pifoun" (sorte de râteau permettant de nettoyer le four) et j'ai commencé à creuser... Pendant que Francine MENGUY donnait à boire aux "boches" François, son mari, est venu creuser à l'extérieur du four. Il voyait mieux que moi ; il y avait des endroits où le "pri prat" ou "pri melen" était plus facile à percer. J'aurais encore pu être arrêté, à Pâques 1943, lorsque le recteur de Ploumoguer, et en me montrant directement, s'est mis à attaquer la Résistance. Son prêche en breton et en français était parfaitement compris par l'interprête allemand de la Kommandantur présent dans l'église ainsi qu'une quinzaine de soldats. Heureusement il était antinazi ; je suis parti immédiatement à Plourin me mettre au vert quelque temps. Une autre fois en mai 44 à Lampaul-Plouarzel, j'ai été pris par les gendarmes de Saint-Renan, des Français, lors d'un bal clandestin au bureau de tabac TREBAUL. Je jouais de l'accordéon et animais les bals et, pour cela, disposais d'un "ausweiss" allemand et si j'avais voulu j'aurais pu partir. "Viens dans l'atelier, je vais te cacher" Mon accordéon était parti avec les copains. Les gendarmes m'ont tapé tant que j'ai été victime d'un traumatisme crânien. Ils m'auraient tué sans l'intervention de Mme TREBAUL. F. FERELLOC m'a amené chez le docteur CLEC'H à Lanildut pour qui mon état exigeait une hospitalisation. Mais il fallait que je rende l'accordéon le lendemain matin à la Kommandantur de Ploumoguer dont je dépendais. Heureusement le chef de brigade du Conquet qui appartenait à notre groupe s'est débrouillé pour trouver un vieil accordéon dans une ferme et l'a bien emballé. A 8 heures, à la Kommandantur, la Gestapo m'attendait ! Il s'en est fallu de peu que je ne parte pour ... l'Allemagne ! C'était grave de la part des gendarmes ; l'un des gendarmes savait très bien que je faisais partie de la Résistance... La dernière fois ce fut lors de l'attaque de Trézien ... Au début d'août 1944, j'ai fait arrêter deux femmes qui vivaient avec des Allemands depuis plusieurs années ; l'un était officier Supérieur et l'autre chauffeur de camion. Internées au Camp elles ont été jugées justement et n'ont subi aucun sévice. après leur libérations elles sont d'ailleurs venues me remercier. Il y a eu tout de même des règlements de compte, ... parfois regrettables...

Installations militaires

Au Corsen, les Allemands devaient être à peu près à une quinzaine. Mais le poste le plus important se situait en haut de Ploumoguer, à Kerveledan. 3 lignes de fortification formaient l'ensemble des batteries côtières : Kerveledan, une deuxième ligne de Ploumoguer au Conquet, une troisième de Kéronvel à Coat Ar Piquet, Kergounan. Les batteries des 2ème et 3ème lignes devaient être équipées de canons Schneider, français, mais ils étaient trop grands pour les constructions prévues. Ainsi il n'y a jamais eu de canons dedans si ce n'est pour des tirs d'essais. Les canons étaient orientés vers les plages des Blancs-Sablons et Ilien pour la moitié d'entre eux et les autres pointaient en direction de Porsmoguer, Corsen.

Pour les travaux de construction de ces batteries les agriculteurs étaient réquisitionnés. Nous étions ce jour-là, à Kergounan, à construire des plates-forme pour recevoir les canons, français, au lieu des canons allemands prévus pour ce type de construction. Impossible de les y faire entrer ! La plate forme devait être terminée pour 6 heures du soir. Nous étions une dizaine de personnes ; je dis aux gars : "La plate-forme ne sera pas construite ! Vous êtes d'accord ?" J'étais le seul à avoir une montre vu que je jouais de l'accordéon et celà rapportait assez bien. A 5 heures, le boche commence à s'énerver vu l'état d'avancement des travaux. A 6 heures moins cinq, je dis : "Six ! Hour ! Terminé ! ". Le "boche" a commencé à crier, baïonnette au canon. Un sous-officier est arrivé. "Ca va tourner mal, il vaut mieux que vous continuiez. Moi, je ne le ferai pas ! Pour vous, il vaut mieux, vous êtes père de famille ..." Une heure et demie plus tard la plate-forme était terminée. Et moi, j'ai ramassé une terrible tournée ; il y avait deux "boches", chacun leur tour ; à la fin je faisais le mort, j'étais en sang, les sabots cassés. Les fameux canons sont arrivés ! Et la nuit est tombée. L'un des soldats, un Tchécoslovaque, est venu dans la tranchée et m'a accompagné jusqu'à la route de Plougonvelin. Puis, pieds nus, je suis rentré à la maison, à travers champs.

Les otages de Trézien

16 août 1944. Nous avons été attaqués vers 9 heures du matin après avoir essuyé un tir d'artillerie, d'une précision inouïe, en provenance de Kéringar. L'un des premiers obus est tombé sur la grange qui abritait la cuisine. Nous n'étions pas très nombreux, une petite centaine dont quelques Russes. Les parachutistes allemands du général RAMCKE sont arrivés par la route du cimetière : Joseph ANDRE, chef de la section, et Michel CONQ, quartier maître fusilier, ont pris le fusil mitrailleur ; à la suite d'une défaillance du chargeur j'ai dû faire le pourvoyeur à M. CONQ. C'est en décrochant qu'il a été grièvement touché à la tête. On a trouvé une bouteille d'eau oxygénée et on l'a soigné en lui bandant la tête avec des morceaux de bras imbibés d'antiseptique. On l'a placé sur un brancard puis sur la voiture découverte, une Citroên, appartenant à Bastien LANDURE, réformé et ancien de la Marine ; mais elle n'a pas voulu démarrer, heureusement d'ailleurs ! Les Allemands approchaient et étaient arrivés à proximité du cimetière. On est parti se cacher sous un tas de paille ; une demi-heure après les Allemands ont mis le feu dedans ! Sous le tas dans la cache, il y avait moi-même, Michel CONQ, la famille LAMOUR, Monsieur KERNE instituteur et son épouse, et une jeune institutrice, Mlle CASTREC. Sans elle nous nous faisions ratatiner. Ils ont mis le feu dans la paille ; au mois d'août, tu sais ce que c'est ; en moins de deux, on se faisait griller. J'ai essayé de sortir, deux, trois fois ! Les rafales de mitraillette me passaient au-dessus de la tête... On allait tous "crever". Si une femme sortait peut-être ! On a une chance ! Il fallait faire vite. On l'a poussée dehors. Quand ils ont vu que c'était une femme, ils n'ont pas appuyé sur la gachette... On est sorti en levant les mains ; j'ai pris Michel CONQ par les mains. Un officier allemand est arrivé, a calmé un peu la troupe (une trentaine d'allemands avaient été tués entre Trézien et Corsen au début de l'attaque ; le chiffre de 33 tués et plusieurs blessés a été confirmé par le général RAMCKE au cours des interrogatoires). On a dit qu'ils étaient près de mille soldats ; en fait, deux cents à peu près. C'étaient des paras du général RAMCKE, des caïds dont certains avaient servi dans l'Africa Korps. Je ne comprends pas pourquoi ils nous ont attaqués... même si j'ai ma petite idée là-dessus. Quelqu'un nous avait dénoncés ! Les Allemands ont pris d'autres otages au bourg de Trézien. On est parti au Corsen chercher leurs macchabées ; il ne restait plus que deux soldats en état de combattre. On aurait pu attaquer la veille, mais on attendait un tank américain... Les paras sont restés sur place. Nous avons été envoyés à Keringar où l'on devait être fusillés à huit heures du soir... On a été mis au poteau... Nous ne sommes pas restés deux heures comme on l'a écrit. Et puis grâce à Madame DE TAISNE, aux autorités américaines... On avait deux cents prisonniers allemands au camp de la Résistance ; c'est cela qui nous a sauvés. Cela a été confirmé par la suite par le Général RAMCKE, par la Croix Rouge, par Madame POITOU DUPLESSY, visiteuse des prisons , la seule personne qui pouvait nous rendre visite... Elle a apporté la preuve que les prisonniers étaient bien traités...

Ils m'ont sorti des rangs deux ou trois fois, j'avais sur moi un pull-over rouge, j'étais goal de l'équipe de Ploumoguer. Je portais une chemise de la marine allemande ainsi que des souliers au fer à cheval... Ce n'était pas la peine de leur dire que j'étais en train de planter des choux à Trézien ! Le 17, au matin, avant le lever du soleil, vers cinq heures, deux camions sont venus et nous ont amenés au château à Brest. Là, j'ai subi mon premier interrogatoire, musclé. A deux heures de l'après-midi, ils sont venus me chercher, m'ont bandé les yeux, mis les menottes ... Je me suis retrouvé à l'Hôpital Maritime. Les Allemands devaient enterrer les morts de Trézien lors d'obsèques officielles. "Voilà votre résultat. Maintenant, si vous parlez, vous ne subirez pas le même sort , sinon nous serons obligés de vous abattre... " Je n'ai guère changé d'avis. Au retour, nous nous sommes arrêtés, dans une caserne, je pense, mais je ne la reconnaissais pas et ils m'ont fait voir des types qui venaient d'être "bousillés". Le sang était encore frais. On devinait qu'ils a avaient été tués tout en courant de la façon dont les corps étaient recroquevillés...

Mon collègue Michel CONQ était dans le coma ; il y est d'ailleurs resté plus de deux mois. Il n'a jamais été soigné par les Allemands sinon par nous-mêmes. Quand ses parents l'ont retrouvé à Lesneven vers le 20 septembre, il portait le même pansement depuis Trézien ; çà lui avait fait une sorte de plâtre ! Les mouches, les vers, les asticots l'ont guéri !!! En plus de se blessures apparentes, il avait également pratiquement toutes les côtes brisées par les coups de pied et de crosse des Allemands. Ces derniers le piquaient avec la pointe de leur baïonnette pour voir s'il était toujours en vie. Ils voulaient absolument lui donner le coup de grâce... il fallait que je les persuade qu'il était encore en vie, que son cœur battait. Ces sévices et ces tortures étaient pratiqués par la Gestapo et les S.S. à la prison du château à Brest. Il n'a prononcé qu'une seule parole avant d'être embarqué dans les camions à Kéringar : "Yffig, donne-moi ton révolver... les sales Boches". Par la suite, il n'a jamais prononcé une seule parole.

Au bout de 7 jours, un amiral allemand, commandant de la base sous-marine nous a annoncé que nous étions désormais considérés comme prisonniers de guerre ce qui nous donnait le droit à trois cigarettes par jour mais peu à manger et à boire. Au bout d'une quinzaine de jours, on nous annonce notre prochaine libération. Mais nos tentavives pour sortir de Brest s'avèrent impossibles et nous nous retrouvons à la prison du Château. Le lendemain les Allemands nous remettent entre les mains de Mr EUSEN, maire de la ville de Brest, et nous sommes envoyés à l'abri Sadi-Carnot. J'ai passé deux nuits dans l'abri à dormir sur les marches. Les autres, les camarades de Trézien, allaient traire les vaches, enterrer les morts ; moi, je ne savais pas traire les vaches, je ramassais les blessés. Le troisième jour, un officier, un des adjoints de RAMCKE, est venu trouver le Maire de Brest : "Il y a un dépôt de vivres (600 tonnes de vivres, il ne manquait que le pain et l'eau) au Château, gardé par l'armée allemande. Nous avons besoin de nos soldats pour partir au front et il nous faudrait deux civils pour garder le dépôt". Aucun volontaire ! C'était quitter le Paradis pour l'Enfer ! L'abri, c'était trente mètres de roches et de béton ! Invulnérable ! Mme POITOU DUPLESSY s'est approché de notre groupe. "Vous nous demandez beaucoup, on est bon pour tout ; on est obligés de chercher à manger, de voler, ..." lui répond l'instituteur KERNE. Puis se tournant vers moi : "Mr MORVAN, vous ne savez pas traire les vaches ; pensez aux prisonniers américains qui sont là-bas ; il faut accepter". C'est ainsi que je me suis trouvé à la tête des 600 tonnes de vivres au château ! On m'a fourni un brassard allemand mais je craignais de me retrouver face à face avec les membres de la Gestapo. L'officier m'a rassuré en m'affirmant que je ne serais pas inquiété. Durant mon séjour, je donnais des conserves aux prisonniers anglais, canadiens, américains... J'ai été blessé le 3 septembre à l'entrée du château ; j'avais été chercher une paire de souliers en ville pour un pilote canadien. L'obus étant tombé près de moi, à environ 1,50 m, d'après les factionnaires allemands ; j'ai été projeté dans les douves et criblé d'une trentaine de petits éclats dans le dos ; j'ai été soigné dans un premier temps par un médecin allemand puis par les médecins de l'abri Sadi Carnot ; l'un des éclats se trouve toujours au-dessous de mon omoplate. J'ai été libéré le 18 septembre, à 14 H 30, par les Américains. Les trois parlementaires US étaient arrivés au Château, vers 14H, les yeux bandés ; c'était la troisième fois qu'ils venaient demander la reddition sans condition des troupes allemandes ; elle fût, cette fois, acceptée par l'un des adjoints de RAMCKE, qui se trouvait, lui, à Crozon. Je fus le dernier à être libéré de Brest.

J'ai participé au convoyage des prisonniers allemands au château de Kersters le long du port de commerce. Des civils jetaient des cailloux sur les "boches". Des camions les ont envoyés ensuite à Guipavas où un camp était aménagé pour les recevoir. Le lendemain j'ai accompagné la troupe américaine dans la presqu'île de Crozon ; des combats s'y déroulaient toujours. Peu après Plougastel, nous apprenions que le Général RAMCKE s'était rendu sans condition. Je l'ai aperçu ensuite à Landerneau. Par la suite, j'ai été appelé à témoigner lors de son procès.


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