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De Wiki-Brest
Révision datée du 15 janvier 2010 à 09:55 par Jeffdelonge (discussion | contributions) (L'explosion)

Ocean Liberty: avant lui pourtant...

28 juillet 1947 à 17h25: un cargo norvégien, l'Ocean Liberty, chargé de 3000 tonnes d'ammonitrate prend feu puis explose dans le port de Brest. L'immense explosion fait 22 morts et 4 disparus.



L'ammonitrate ce dangereux ami.

Cet engrais azoté est d'une utilisation courante en notre pays contrairement à d'autres états européens. Des mesures sont, néanmoins, prises depuis les dernières catastrophes par les tenants de ce produit. Sa particularité vient de son action fertilisante accentuée sur les plantes. Ce sel en cristaux est très hygroscopique et aspire intensément la vapeur d'eau en suspension dans l'air. Il est issu du nitrate d'ammonium ayant une dangerosité explosive aussi dévastatrice que la nitroglycérine ou le TNT. La suite demain...


Et le désastre vint du Crandcamp à Texas-City

Le 16 avril 1947 à 9h12 le "Grandcamp" explose... Le 17 avril à 1h10 le "High Flyer" se pulvérise. Ils chargeaient de l'ammonitrate sur les quais de Texas-City près de Houston (USA). Seismes aux conséquences dramatiques: des centaines et des centaines de morts dans une ville ravagée. Un résumé est nécessaire pour saisir l'implacable loi des séries. Le 28 juillet 1947 à 17h25 c'est l'Océan Liberty qui tue et anéanti une grande partie de la reconstruction de Brest. Lorsque l'on sait que ces trois bateaux sont des "liberty ship" héros de la dernière guerre cela prouve que le destin est autant imprévisible que cruel. Ci-dessous deux fiches techniques (en préparation)vous présentent ces navires sortis quasiment en série des chantiers américains. Et si quelqu'un posait un sous-titre au dessus de ces premiers textes? Des photos vont venir s'intercaler bien-sûr! YD.


Trois mois pour une nouvelle déchirure

L'Océan Liberty se dirige vers le port de commerce de Brest....



L'horrible destin du 28 juillet 1947

Nous allons travailler sur ce dossier très lourd. Il est certain que les témoignages de plusieurs personnes ayant vécu ce drame vont apporter une vision plus éclairante des faits. Je dois les rencontrer en ce début de janvier 2010 au Fourneau. Vous toutes, vous tous qui avez des souvenirs forts de ces heures tragiques complétez, affinez les dires (par l'écrit, la photo aussi). Le flou est plus néfaste, encore, que l'oubli. Il est évident que mon blog reproduira et amplifiera le sujet puisque le point de départ de ce désastre a eu lieu à portde (port de commerce pour les puristes). Mais cette mémoire appartient à la cité brestoise et sera le bien de chacun de nous. Une pensée particulière pour Yves Bignon et le marin Quéré. Ils n'avaient pas choisi le meilleur rôle... Ils sont morts jeunes et courageux jusqu'à l'abnégation. Ce préambule aura une suite au coup par coup, dans le respect le plus exact possible du vrai, afin que le "28 juillet 1947" devienne une date indélébile de notre ville et de son port. Bravo à Wiki-Brest pour avoir réouvert ce volet. YD.


C'est une satisfation de savoir qu'aujourd'hui dimanche 10 janvier 2010 nous avons des liens venant non seulement de la Bretagne ... mais aussi de Suisse ou de Haute-Savoie. Ils étaient là en 1947.



Témoignage de Jacques Page

Voici un texte de JAKES vivant sa retraite sur les berges du lac Léman


Prologue

Je suis né le 22 septembre 1931 à Kermabon ( entre Ménez-Paul et le Dourjacq). Je m'appelle Jacques PAGE, issu du douzième et dernier accouchement de ma Maman, devenue veuve sans pension quand j'ai eu 16 mois. Elle nous a élevés avec amour et piété et avec les moyens les plus modestes qui soient. Mon frère aîné, Jean, faisant abstraction de ses projets personnels, est resté à la maison, s'est mis « en haut » de la table et, remplaçant Papa, a apporté sa paie à Maman pendant dix ans. C'est ainsi que les fils honnêtes se comportaient dans ces temps-là, dans les familles modestes de chez nous.

Dès l'âge de 9 ans, j'y ai vécu l'ambiance de guerre et les bombardements presque quotidiens. Depuis les hauteurs du Pilier-Rouge, on était au spectacle, surtout la nuit, quand les balles traçantes des canons anti-aériens et les rayons lumineux croisés des projecteurs fouillaient le ciel... C'était notre « Symphonie Boum-Boum » ! Dès 1943, toutes les écoles de Brest ayant fermé, les enfants évacués, je vivais chez ma sœur Yvonne au Douvez, au bord de l'Elorn à 4 km du Pont de Plougastel et donc à 7 kilomètres ( à vol d'oiseau ) de Brest. Pendant le « siège », j'ai vu ( et entendu, gast ! ) le dynamitage du pont, j'ai assisté à la progression des troupes franco-américaines, j'ai vu et entendu les norias de bombardiers arrosant Brest, l'un ou l'autre, occasionnellement, se faisant descendre en flammes par le D.C.A. du Reich. J'ai été bercé au son du canon... Ceci pour vous expliquer que pour ce qui est de déflagrations et autres explosions, mes tympans n'étaient pas des novices !


Plantons le décor

En 1946, promotion au rang de « nouvel adulte » : apprenti à l'Arsenal, je n'étais plus un « écolier », plus un enfant ! Tous les matin on marchait, des milliers d'ouvriers et d'employés marchaient avant la sirène du début du travail par les cheminements pratiqués progressivement entre les montagnes de gravats et de débris de la ville « intra-muros » détruite presque à 100 % par 5 à 6 semaines de siège. En juillet 1947, fin de ma première année d'ajusteur au Centre d'Apprentissage au « Plateau », dans de vastes et hauts bâtiments munis tout le long de grandes verrières y compris - et surtout - de grands châssis en demi-lune tout en haut des pignons. Nous avions deux pauses ( pas des récréations : on n'est plus des écoliers ! ), une vers 10 heures du matin, l'autre vers 15H30. A midi, nous prenions le petit train intérieur à l'Arsenal pour aller manger à « la Gueule d'Or », le restau-réfectoire installé dans des baraquements à Laninon. A 13H30 (ou bien 14 heures ? ...ma mémoire...) on était de retour à l'atelier. Pour mon récit du déroulement de la catastrophe du 28 juillet, tout ceci me paraît bien utile.


La journée du 28 juillet 1947

Je me rappelle vaguement que... me semble-t-il... pendant la pause de 10 heures - à moins que ce soit à midi, au départ du « train du repas » ? - nous avons aperçu du côté de la rade, par dessus des toitures, au ras du Château, un gros dôme de fumée compacte dont la couleur orange foncé nous avait tant soit peu intrigués. Mais à cette époque, avec tous les travaux incessants en ville, de la fumée, des feux... Tout de même, d'une telle couleur ? Et sur la rade ? Bizarre...

En sortant du repas, nous avons vu depuis Laninon que le panache avait formidablement grandi, c'était devenu un immense nuage orangé monté très haut dans le ciel comme un gigantesque boudin couvrant le port et secteur de l'Arsenal... Bon, descendus du train, retournés au Plateau, nous nous empressons de rentrer à l'atelier car le nuage a grandi, grandi, il est pratiquement sur nous ! Mais... au boulot !

Pendant la pause de l'après-midi, on ne reste pas longtemps dehors, on est juste sous l'immense nuage qui laisse tomber des « gouttes orangé », une pluie de gouttes visqueuses, éparses et grosses comme des pièces de monnaie... Pause à l'intérieur de l'atelier, le travail reprend quasi normalement, mais quels sujets de conversation ! Il se passe quelque chose dehors, tous en parlent, émettant les suppositions les plus diverses, on ne nous donne pas la moindre information : aucun ordre, aucune mise en garde. De toute évidence, le phénomène n'est pas du ressort de la Marine Nationale.


Plan de Jacques Page
Photo des archives municipales de Brest
Plan rectifié puisque les faits commencent au quai à chevaux du 5ème b


L'explosion

Donc, on lime, on scie, on tape, bref, on travaille. Au bout d'une heure, violente surprise ! Baaouum !

D'après ce qui me reste après 62 ans d'un tel souvenir, il me semble que nous avons senti d'abord une très grosse secousse - un choc « tellurique » - et puis dans la seconde, une détonation formidable dix fois plus forte que toutes les bombes de la guerre, faisant tressauter le sol et les murs... Je fais un clin d'œil aux structures hautes : je vois les verrières qui se gonflent vers l'intérieur et aussitôt explosent ! Je n'ai pas attendu une fraction de seconde pour plonger sous l'établi, échappant in extremis à la pluie de verre et de tiges de ferraille qui tombent, rebondissent et s'étalent sur tout le sol alentour, sur les établis, sur les machines...

Une image me reste, un instantané que j'ai toujours dans les yeux, comme si c'était d'hier ! L'image de l'immense verrière demi-lune du pignon, juste à la verticale de notre établi, cette image d'une grande verrière qui s'enfle, se bombe et explose aussitôt. Je l'ai dit pour le boucan des explosions, j'étais aguerri... Eh bien, cette explosion intempestive, inattendue et brutale avait une telle puissance que ce fut pour nous tous un choc inoubliable, pour collègues, amis, moi, pour le moniteur qui avait plongé en même temps que moi sous mon établi... Je vois encore dans mon souvenir resté vivace son air effaré !

Modélisation de la la charpente d'un atelier par D. Larvor

Il y eut du coup dans notre grand atelier un désordre indescriptible et un brouhaha mêlé de cris. Je ne me souviens pas de combien il y eut de blessés, je me souviens seulement que nous avons tous regagné en ordre et dans le calme les vestiaires au sous-sol où nous nous sommes changés, encadrés par nos moniteurs dont - ayant appris à vivre depuis lors - je salue rétrospectivement et fièrement le sang-froid : notre journée de travail était interrompue, terminée, sans discussion ni commentaire

Les explications

En sortant, on nous dit que le sinistre est dû au cargo Ocean Liberty qui a explosé dans la rade. Le plus gros de son chagement était du nitrate d'ammonium, un agent chimique hautement combustible et explosif qui a, du fait de la chaleur torride de juillet, amorcé une combustion à bord, puis un incendie que les moyens à disposition n'ont pas pu maîtriser.

Le navire a alors été remorqué vers la rade, hors du port de commerce, du côté de Kérangall ou du Trischler où il se serait échoué, « piégé » par le prétendu banc de sable de Saint-Marc... Les falaises du Forestou et du Guelmeur ont, paraît-il, partiellement protégé la ville qui a pourtant été à nouveau gravement sinistrée : portes et fenêtres implosées, rues bloquées par les gravats de bâtiments endommagés voire effondrés... Après 4 ans de bombardements et un mois et demi de siège, les « Tits Zephs » n'avaient pas besoin de ça ! Rentrant chez nous, nous trouvons par la ville des morceaux du cargo jonchant la chaussée. Je me souviens, en haut de l'avenue Salaün-Penquer, presque devant la gare, un énorme morceau du bordé, au moins deux à trois cents kilos d'acier!


Epilogue

Ma sœur Jeanne habitait à l'Anse Saupin, près de Penfeld, une maison jumelle partagée avec la famille DANTEC dont le père était, comme mon beau-frère Louis Borgne, au service du port de Brest. Dantec était au service des remorqueurs, vétéran embarqué, mon beau-frère était au service « autos », vétéran mécanicien. Le soir du 28 juillet, Dantec rentre assez tard et sa femme, dans l'angoisse, le voyant enfin arriver, lui crie :

  • Ah, te voilà !

Et le mari lui répond en bougonnant :

  • Ouais, eh ben, moins deux te voilà pas !

Il était au service d'un remorqueur qui a tiré l'Océan Liberty hors du port de commerce jusqu'à l'échouer face à Saint-Marc. Bloqués, ils l'ont décroché et son rentrés dare-dare, « plein gaz » au port. A peine avaient-ils croisé derrière l'extrémité du môle protecteur que le libertyship explosait, détruisant tout ce qui était à vue. A quelques secondes près, le remorqueur et son équipage auraient été balayés comme un fétu de paille !

Qui dira la tranquille vaillance des vétérans, vaillance quotidienne si souvent proche de l'héroïsme ?


Sans commentaire... Bravo Jakes! YD.



Ces témoins d'un autre temps

Nous aurons des anecdotes cruelles et d'autres plus étonnantes. Pour exemple ce souvenir de René Cette journée-là je me trouvais chez ma grand-mère. Comme chaque après-midi elle cuisait son litre de lait et posait la casserole bouillante sur le rebord extérieur d'une fenêtre. La crème remontait en surface onctueuse et appétissante. Nous ne l'avons jamais goûtée car une terrible explosion nous a couché en arrière et notre casserole s'est volatilisée en des dizaines de morceaux. Pas de blessure mais un désarroi effroyable. Dehors le drame se voyait, se sentait à tous les horizons. J'avais 12 ans et la maison se trouvait à 5 kms du port de commerce. Ce micro fait est scellé à jamais dans ma mémoire. Le reste est plus destructeur pour les familles disséminées par la mort et la perte de leur habitat." YD.


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