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Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, Préface : Différence entre versions

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Quoique depuis deux siècles on ait fait de grands progrès dans l'Art de la Navigation, un voyage autour du Monde ne laisse pas d'être considéré comme une chose singulière, et le Public a toujours parut fort curieux des accidens, qui accompagnent la plupart du tems cette entreprise extraordinaire. Je n'ignore pas que le plaisir de s'amuser excite dans le gros des Lecteurs cette espèce de curiosité ; mais cela n'empêche point, que la partie la plus Intelligente du Genre-humain ne convienne que de pareilles rélations, quand elles sont fidèlement faites, peuvent puissamment contribuer à l'avancement de la Navigation et du Commerce, et par cela même au bien de la Nation : car toute description exacte de Côtes étrangères et de Païs peu connus, servira à l'une ou à l'autre de ces importantes fins, à proportion des richesses, des besoins, ou des productions de ces Païs, et de notre ignorance touchant ces Côtes. Ainsi un voyage autour du Monde annonce le détail le plus intéressant, puisque la plus grande partie s'en fait par Mer, et oblige à visiter des Côtes, dont on n'a jusqu'à présent que des idées fort imparfaites, et qui sont voisines d'une Contrée fameuse par ses Trésors et en même tems par sa pauvreté, en ce qu'elle manque de ce qu'il faut Ñ€our les nécessités et les agrémens de la vie.
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Quoique depuis deux siècles on ait fait de grands progrès dans l'Art de la Navigation, un voyage autour du Monde ne laisse pas d'être considéré comme une chose singulière, et le Public a toujours parut fort curieux des accidens, qui accompagnent la plupart du tems cette entreprise extraordinaire. Je n'ignore pas que le plaisir de s'amuser excite dans le gros des Lecteurs cette espèce de curiosité ; mais cela n'empêche point, que la partie la plus Intelligente du Genre-humain ne convienne que de pareilles rélations, quand elles sont fidèlement faites, peuvent puissamment contribuer à l'avancement de la Navigation et du Commerce, et par cela même au bien de la Nation : car toute description exacte de Côtes étrangères et de Païs peu connus, servira à l'une ou à l'autre de ces importantes fins, à proportion des richesses, des besoins, ou des productions de ces Païs, et de notre ignorance touchant ces Côtes. Ainsi un voyage autour du Monde annonce le détail le plus intéressant, puisque la plus grande partie s'en fait par Mer, et oblige à visiter des Côtes, dont on n'a jusqu'à présent que des idées fort imparfaites, et qui sont voisines d'une Contrée fameuse par ses Trésors et en même tems par sa pauvreté, en ce qu'elle manque de ce qu'il faut pour les nécessités et les agrémens de la vie.
  
Ces considérations ont donné lieu à la publication de l'Ouvrage suivant, qui surement est propre à contenter le goût qu'on a naturellement pour l'extraordinaire, et à contribuer, autant qu'aucune autre rélation du même genre, qui ait été publiée jusqu'à présent, à la sureté et au succès des Navigateurs à venir, aussi bien qu'à étendre notre Commerce et notre puissance. Les particularités déjà connues de cette entreprise doivent avoir excité une curiosité générale : car si l'оп fait attention à la force de l'Escadre destinée à cette expédition, aux malheurs que chaque Vaisseau en particulier eut à essuyeг, ou bien aux exemples frappans des retours de fortune, qui eurent continuellement lieu durant tout le cours de l'expédition, le peu qu'on fait à chacun de ces égards, ne peut que faire souhaiter d'en savoir davantage. Que si cette réfléxion est fondée rélativement à la partie historique de cet Ouvrage, elle l'est bien plus encore par rapport aux endroits instrucifs, qui y sont presque par-tout entremêlés : car j'oserois assurer, sans craindre d'être contredit, qu'aucun Voyage, qui me soit tombé entre les mains, ne contient autant de vues de Païs, de Sondes, de plans de Ports et de Rades, de Cartes, et d'autres secours propres à perfectionner la Géographie et la Navigation, qu'il s'en trouve dans cette rélation. Ces articles sont d'autant plus importants, que la plupart ont rapport à des Païs, qui ont été ,ou point, ou mal décrits, jusqu'à présent : défaut, qui devoit naturellement faire manquer les entreprises qu'on auroit pu former dans la suite, ou même causer la perte des Hommes et des Vaisseaux, qui y auroient été employés.
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Ces considérations ont donné lieu à la publication de l'Ouvrage suivant, qui surement est propre à contenter le goût qu'on a naturellement pour l'extraordinaire, et à contribuer, autant qu'aucune autre rélation du même genre, qui ait été publiée jusqu'à présent, à la sureté et au succès des Navigateurs à venir, aussi bien qu'à étendre notre Commerce et notre puissance. Les particularités déjà connues de cette entreprise doivent avoir excité une curiosité générale : car si l'on fait attention à la force de l'Escadre destinée à cette expédition, aux malheurs que chaque Vaisseau en particulier eut à essuyer, ou bien aux exemples frappans des retours de fortune, qui eurent continuellement lieu durant tout le cours de l'expédition, le peu qu'on fait à chacun de ces égards, ne peut que faire souhaiter d'en savoir davantage. Que si cette réfléxion est fondée rélativement à la partie historique de cet Ouvrage, elle l'est bien plus encore par rapport aux endroits instrucifs, qui y sont presque par-tout entremêlés : car j'oserois assurer, sans craindre d'être contredit, qu'aucun Voyage, qui me soit tombé entre les mains, ne contient autant de vues de Païs, de Sondes, de plans de Ports et de Rades, de Cartes, et d'autres secours propres à perfectionner la Géographie et la Navigation, qu'il s'en trouve dans cette rélation. Ces articles sont d'autant plus importants, que la plupart ont rapport à des Païs, qui ont été ,ou point, ou mal décrits, jusqu'à présent : défaut, qui devoit naturellement faire manquer les entreprises qu'on auroit pu former dans la suite, ou même causer la perte des Hommes et des Vaisseaux, qui y auroient été employés.
  
Outre le nombre et le choix de ces desseins, et descriptions de Côte, il y a encore une autre particularité, qui en relève beaucoup le prix ; Savoir l'extrême exactitude avec laquelle les uns et les autres ont été faits. J'exprimerais très imparfaitement ce que je pense à cet égard, si je disois, qu'on n'a encore rien publié en ce genre de plus parfait, ni peut-être mêmе d'aussi bon. Ce ne sont point des copies d'Ouvrages d'autrui, ni des Ouvrages de Cabinet composés sur des Mémoires imparfaits, écrits par des Observateurs négligens ou mal habiles, comme on l'а vu mille fois ; mais la plus grande partie de ces desseins a été faite sur les lieux avec la dernière exactitude, par la direction, et sous les yeux de Mr. ''Anson'' lui-même. Il n'y en a que trois оu quatre, que des mains moins habiles ont tracés, ou qui ont été pris sur l'Ennemi, et dont par cela même on ne peut répondre : aussi ai-je toujours eu soin d'en avertir le Lecteur, pour qu'il ne leur ajoutât pas foi trop aveuglément, quoique je sois persuadé que ces plans mêmes sont pour le moins aussi corrects que ceux qu'on trouve insérés dans différens voyages. Car comme il n'est pas possible de se former une idée exacte de Rades, de Ports, et de vues de Païs, d'en lever les Plans, et de les mettre sur le papier, sans y employer du tems, de l'attention, de l'habileté ; ceux, à qui ces qualités manquent, y suppléent souvent par de hardies conjectures et par des descriptions fabriquées à plaisir ; et comme le seul moyen de les réfuter, est d'aller sur les lieux, et de s'exposer aux risques,que leurs fausses informations font toujours naître en pareil cas, ils ne craignent pas d'être découverts. Ainsi, pendant qu'ils en imposent au Public par leurs productions supposées, ils ne font pas conscience de se vanter en même tems d'avoir apporté à leur travail toute l'exactitude possible. Ceux, qui ne sont point au fait de la Marine, ne doivent pas s'imaginer que de pareilles tromperies n'ont rien de criminel ; car comme une vue exacte des terres est le guide le plus sur qu'un Pilote puisse suivre sur une Côte où il n'a jamais été auparavant, toute fiction sur un sujet si intéressant doit toujours traîner à sa suite de grands dangers, et la perte de сеux, qui ont le malheur d'être trompés.
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Outre le nombre et le choix de ces desseins, et descriptions de Côte, il y a encore une autre particularité, qui en relève beaucoup le prix ; Savoir l'extrême exactitude avec laquelle les uns et les autres ont été faits. J'exprimerais très imparfaitement ce que je pense à cet égard, si je disois, qu'on n'a encore rien publié en ce genre de plus parfait, ni peut-être même d'aussi bon. Ce ne sont point des copies d'Ouvrages d'autrui, ni des Ouvrages de Cabinet composés sur des Mémoires imparfaits, écrits par des Observateurs négligens ou mal habiles, comme on l'a vu mille fois ; mais la plus grande partie de ces desseins a été faite sur les lieux avec la dernière exactitude, par la direction, et sous les yeux de Mr. ''Anson'' lui-même. Il n'y en a que trois ou quatre, que des mains moins habiles ont tracés, ou qui ont été pris sur l'Ennemi, et dont par cela même on ne peut répondre : aussi ai-je toujours eu soin d'en avertir le Lecteur, pour qu'il ne leur ajoutât pas foi trop aveuglément, quoique je sois persuadé que ces plans mêmes sont pour le moins aussi corrects que ceux qu'on trouve insérés dans différens voyages. Car comme il n'est pas possible de se former une idée exacte de Rades, de Ports, et de vues de Païs, d'en lever les Plans, et de les mettre sur le papier, sans y employer du tems, de l'attention, de l'habileté ; ceux, à qui ces qualités manquent, y suppléent souvent par de hardies conjectures et par des descriptions fabriquées à plaisir ; et comme le seul moyen de les réfuter, est d'aller sur les lieux, et de s'exposer aux risques,que leurs fausses informations font toujours naître en pareil cas, ils ne craignent pas d'être découverts. Ainsi, pendant qu'ils en imposent au Public par leurs productions supposées, ils ne font pas conscience de se vanter en même tems d'avoir apporté à leur travail toute l'exactitude possible. Ceux, qui ne sont point au fait de la Marine, ne doivent pas s'imaginer que de pareilles tromperies n'ont rien de criminel ; car comme une vue exacte des terres est le guide le plus sur qu'un Pilote puisse suivre sur une Côte où il n'a jamais été auparavant, toute fiction sur un sujet si intéressant doit toujours traîner à sa suite de grands dangers, et la perte de сeux, qui ont le malheur d'être trompés.
  
Outre Les Plans des endroits, où, Soit Mr. ''Anson'' lui-même, soit quelques-uns des Vaisseaux sous son commandement, ont touché durant le cours de cette expédition, et les descriptions, aussi bien que les directions rélatives à ces endroits, on trouvera, dans cet Ouvrage, 1e détail et la Carte d'une Navigation, dont, si l'оn excepte ceux qui y ont été employés immédiatement, on n'a jusqu'à présent guère plus connu que le nom : je veux dire la route du Galion de ''Manille''<ref>Vaisseau  marchand qui faisait la route transpacifique entre les possessions espagnoles des Philippines et celles du Mexique, le trajet vers les Philippines se faisait poussé par les alizés de nord-Est, le trajet inverse supposait une remontée au nord pour atteindre la zone des vents d'Ouest. Ces routes transocéaniques ont été mises en place par les Espagnols dès le XVIème siècle. Couplées à une traversée terrestre du Mexique, elle concrétisaient le rève de Colomb d'une voie commerciale par l'Ouest avec les îles aux épices d'Asie.</ref> dans son passage d' ''Acapulco'' à travers la partie Septentrionale de la Mer ''Pacifique''. Cet article important est tiré des Cartes et des Journaux trouvés à bord du Vaisseau de ''Manille''. L'autorité de ces pièces est d'autant plus respectable, qu'elles sont le fruit d'une expérience de plus de cent cinquante ans, et que d'ailleurs elles ont été confirmées, dans les points les plus essentiels, par le témoignage unanime de tous les ''Espagnols'' pris à bord de ce Vaisseau. Comme tous ceux de leurs Journaux, que j'ai eu occasion d'examiner, ле me paroissent pas mal faits, j'ose dire que les Navigateurs à venir peuvent se fier à la Carte de cet Océan Septentrional, rélativement à la route de ces Galions.
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Outre Les Plans des endroits, où, Soit Mr. ''Anson'' lui-même, soit quelques-uns des Vaisseaux sous son commandement, ont touché durant le cours de cette expédition, et les descriptions, aussi bien que les directions rélatives à ces endroits, on trouvera, dans cet Ouvrage, 1e détail et la Carte d'une Navigation, dont, si l'on excepte ceux qui y ont été employés immédiatement, on n'a jusqu'à présent guère plus connu que le nom : je veux dire la route du Galion de ''Manille''<ref>Vaisseau  marchand qui faisait la route transpacifique entre les possessions espagnoles des Philippines et celles du Mexique, le trajet vers les Philippines se faisait poussé par les alizés de nord-Est, le trajet inverse supposait une remontée au nord pour atteindre la zone des vents d'Ouest. Ces routes transocéaniques ont été mises en place par les Espagnols dès le XVIème siècle. Couplées à une traversée terrestre du Mexique, elle concrétisaient le rève de Colomb d'une voie commerciale par l'Ouest avec les îles aux épices d'Asie.</ref> dans son passage d' ''Acapulco'' à travers la partie Septentrionale de la Mer ''Pacifique''. Cet article important est tiré des Cartes et des Journaux trouvés à bord du Vaisseau de ''Manille''. L'autorité de ces pièces est d'autant plus respectable, qu'elles sont le fruit d'une expérience de plus de cent cinquante ans, et que d'ailleurs elles ont été confirmées, dans les points les plus essentiels, par le témoignage unanime de tous les ''Espagnols'' pris à bord de ce Vaisseau. Comme tous ceux de leurs Journaux, que j'ai eu occasion d'examiner, ne me paroissent pas mal faits, j'ose dire que les Navigateurs à venir peuvent se fier à la Carte de cet Océan Septentrional, rélativement à la route de ces Galions.
  
 
Je n'entrerai point ici dans la discussion des avantages attachés à une exacte connoissance de cette Navigation, et des projets dont une pareille connoissance pourroit faciliter l'exécution,tant en tems de Guerre, qu'en tems de Paix ; car, outre que ce n'en est point ici le lieu, ces projets et ces avantages seront aisément démêlés par ceux qui sont au fait de la Marine.
 
Je n'entrerai point ici dans la discussion des avantages attachés à une exacte connoissance de cette Navigation, et des projets dont une pareille connoissance pourroit faciliter l'exécution,tant en tems de Guerre, qu'en tems de Paix ; car, outre que ce n'en est point ici le lieu, ces projets et ces avantages seront aisément démêlés par ceux qui sont au fait de la Marine.
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à la Côte de ''Méxique'', et que depuis près de deux siècles, que ce Commerce se  fait, les ''Espagnol'' ont eu grand soin de cacher toutes les rélations de leurs voyages aux autres Nations ; cette raison seule aurait pu suffire pour m'engager à communiquer au Public ces pièces, qui sont d'une grande utilité en Géographie, et d'ailleurs curieuses à plus d'un égard. Elles ont, outre cela, un autre mérite, et qui n'est pas le moindre, savoir les variations de l'Aiguille aimantée dans la Mer ''Pacifique''. Ces variations, qui sont marquées sur la Carte, et qui ont été tirées des Journaux ''Espagnols'' confirment puissamment le Systême général, que le savant Docteur ''Halley'' a formé sur ce sujet, et sont par cela même, d'une utilité infinie pour le Commerce et la Navigation. Ce Grand-homme verroit avec une satisfaction infinie, s'il vivoit encore, les prédictions qu'il a publiées il y a plus de cinquante ans, quoiqu'il n'eût pas la moindre observation, faite dans la Mer ''Pacifique'', exactement vérifiée. La détermination de la variation de l'Aiguille aimantée dans cette partie du Monde, est d'autant plus importante, que les Editeurs d'une nouvelle Carte de variation, qui a été publiée en dernier lieu, ont, faute d'observations faites dans la Mer ''Pacifique'' , donné dans une fausse analogie, et se sont trompés sur la nature même de la variation dans la partie Septentrionale de cette Mer, mettant à l'Ouest une déclinaison qui va à l'Est ; outre qu'ils la font trop petite de douze ou treize degrés. J'ai cru devoir entrer dans ce petit détail, relativement à la partie Hydrographique et Géographique de cet Ouvrage : partie, dont je ne fais ici qu'indiquer l'utilité et l'importance ; mais il y a un autre point, qui exige des éclaircissemens un peu plus détaillés. On trouvera dans cet Ouvrage quelques particularités sur l'état où l' ''Amérique Espagnole'' se trouvoit alors, et sur les dispositions actuelles des Peuples qui l'habitent. Comme, dans ces différens articles, ce que je dis ne s'accorde guère avec les idées généralement reçues, je me crois obligé de marquer les autorités sur lesquelles je me suis fondé en ces occasions, afin de me garantir de l'imputation d'avoir, ou donné dans une crédulité puérile, ou, ce qui seroit bien plus mauvais, trompé mes Lecteurs de dessein prémédité.  
 
à la Côte de ''Méxique'', et que depuis près de deux siècles, que ce Commerce se  fait, les ''Espagnol'' ont eu grand soin de cacher toutes les rélations de leurs voyages aux autres Nations ; cette raison seule aurait pu suffire pour m'engager à communiquer au Public ces pièces, qui sont d'une grande utilité en Géographie, et d'ailleurs curieuses à plus d'un égard. Elles ont, outre cela, un autre mérite, et qui n'est pas le moindre, savoir les variations de l'Aiguille aimantée dans la Mer ''Pacifique''. Ces variations, qui sont marquées sur la Carte, et qui ont été tirées des Journaux ''Espagnols'' confirment puissamment le Systême général, que le savant Docteur ''Halley'' a formé sur ce sujet, et sont par cela même, d'une utilité infinie pour le Commerce et la Navigation. Ce Grand-homme verroit avec une satisfaction infinie, s'il vivoit encore, les prédictions qu'il a publiées il y a plus de cinquante ans, quoiqu'il n'eût pas la moindre observation, faite dans la Mer ''Pacifique'', exactement vérifiée. La détermination de la variation de l'Aiguille aimantée dans cette partie du Monde, est d'autant plus importante, que les Editeurs d'une nouvelle Carte de variation, qui a été publiée en dernier lieu, ont, faute d'observations faites dans la Mer ''Pacifique'' , donné dans une fausse analogie, et se sont trompés sur la nature même de la variation dans la partie Septentrionale de cette Mer, mettant à l'Ouest une déclinaison qui va à l'Est ; outre qu'ils la font trop petite de douze ou treize degrés. J'ai cru devoir entrer dans ce petit détail, relativement à la partie Hydrographique et Géographique de cet Ouvrage : partie, dont je ne fais ici qu'indiquer l'utilité et l'importance ; mais il y a un autre point, qui exige des éclaircissemens un peu plus détaillés. On trouvera dans cet Ouvrage quelques particularités sur l'état où l' ''Amérique Espagnole'' se trouvoit alors, et sur les dispositions actuelles des Peuples qui l'habitent. Comme, dans ces différens articles, ce que je dis ne s'accorde guère avec les idées généralement reçues, je me crois obligé de marquer les autorités sur lesquelles je me suis fondé en ces occasions, afin de me garantir de l'imputation d'avoir, ou donné dans une crédulité puérile, ou, ce qui seroit bien plus mauvais, trompé mes Lecteurs de dessein prémédité.  
  
Mr. ''Anson'', avant de partir pour son expédition, eut soin de se pourvoir, non seulement des voyages imprimés, qui pourroient lui être de quelque usage, mais aussi des meilleures rélations manuscrites qu'il put avoir de tous les Etablissemens ''Espagnols'' sur les Côtes du ''Сhili'', du ''Pérou'', et du ''Méxique'' : il compara soigneusement ce qu'il trouva dans ces rélations, avec le témoignage de ses Prisonniers, et avec les lumières qu'il tira de plusieurs personnes intelligentes, qui lui tombèrent entre les mains dans la Mer du ''Sud''. Il eut aussi le bonheur de trouver, dans quelques-unes des captures qu'il fit, un grand nombre de Lettres et de papiers de la dernière importance. Plusieurs de ces Lettres, écrites par le Viceroi du ''Pérou'' au Viceroi de ''Santa Fée'' , aux Présidens de ''Panama'' et du ''Chili'', à Don ''Blas de Lezo'', Amiral des Galions, et à divers autres personnages revêtus des premières charges, contenoient ordinairement un abrégé de celles auxquelles elles servoient de réponse ; ce qui mit Mr. ''Anson'' au fait d'une partie considérable de la correspondance qu'il y avoit eu entre ces Officiers, quelque tems avant notre arrivée sur ces Côtes, Nous avons pris outre cela une grande quantité de Lettres, que des personnes, employées par le Gouvernement, écrivoient à leurs Amis et à leurs Correspondans. Ces Lettres étoient remplies de narrations rélatives aux affaires publiques, et renfermoient quelquefois des réfléxions où il n'entroit aucun déguisement sur les vues et la conduite de leurs Supérieurs. Ce sont-là les matériaux dont a été formé le récit de quelques évènemens rélatifs aux ''Espagnols'', et qui doivent paroître presque incroyables à la prémière vue. De ce genre est la rélation des malheurs qu'éprouva l'Escadre de ''Pizarro''. Cependant cette partie de la rélation, qui regarde la conspiration d' ''Orellana'' et de ses Compagnons, est encore confirmée par une autre autorité que celle des Lettres interceptées, je veux dire, le témoignage d'un ''Anglois'' qui se trouvoit à bord du Vaisseau  de ''Pizarro'' lors de la révolte, et qui s'étoit souvent entretenu avec ''Orellana''. D'autres témoins du même fait, qu'on a eu occasion d'interroger, en ont confirmé les principales circonstances par leur déposition : desorte que ce fait, quoique très étrange, ne peut être révoqué en doute.
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Mr. ''Anson'', avant de partir pour son expédition, eut soin de se pourvoir, non seulement des voyages imprimés, qui pourroient lui être de quelque usage, mais aussi des meilleures rélations manuscrites qu'il put avoir de tous les Etablissemens ''Espagnols'' sur les Côtes du ''Chili'', du ''Pérou'', et du ''Méxique'' : il compara soigneusement ce qu'il trouva dans ces rélations, avec le témoignage de ses Prisonniers, et avec les lumières qu'il tira de plusieurs personnes intelligentes, qui lui tombèrent entre les mains dans la Mer du ''Sud''. Il eut aussi le bonheur de trouver, dans quelques-unes des captures qu'il fit, un grand nombre de Lettres et de papiers de la dernière importance. Plusieurs de ces Lettres, écrites par le Viceroi du ''Pérou'' au Viceroi de ''Santa Fée'' , aux Présidens de ''Panama'' et du ''Chili'', à Don ''Blas de Lezo'', Amiral des Galions, et à divers autres personnages revêtus des premières charges, contenoient ordinairement un abrégé de celles auxquelles elles servoient de réponse ; ce qui mit Mr. ''Anson'' au fait d'une partie considérable de la correspondance qu'il y avoit eu entre ces Officiers, quelque tems avant notre arrivée sur ces Côtes, Nous avons pris outre cela une grande quantité de Lettres, que des personnes, employées par le Gouvernement, écrivoient à leurs Amis et à leurs Correspondans. Ces Lettres étoient remplies de narrations rélatives aux affaires publiques, et renfermoient quelquefois des réfléxions où il n'entroit aucun déguisement sur les vues et la conduite de leurs Supérieurs. Ce sont-là les matériaux dont a été formé le récit de quelques évènemens rélatifs aux ''Espagnols'', et qui doivent paroître presque incroyables à la prémière vue. De ce genre est la rélation des malheurs qu'éprouva l'Escadre de ''Pizarro''. Cependant cette partie de la rélation, qui regarde la conspiration d' ''Orellana'' et de ses Compagnons, est encore confirmée par une autre autorité que celle des Lettres interceptées, je veux dire, le témoignage d'un ''Anglois'' qui se trouvoit à bord du Vaisseau  de ''Pizarro'' lors de la révolte, et qui s'étoit souvent entretenu avec ''Orellana''. D'autres témoins du même fait, qu'on a eu occasion d'interroger, en ont confirmé les principales circonstances par leur déposition : desorte que ce fait, quoique très étrange, ne peut être révoqué en doute.
  
 
Je ne saurois m'empêcher d'observer à cette occafion, que quoique j'aie eu soin de ne m'écarter de la plus exacte vérité en aucun endroit de cet Ouvrage, je crains pourtant qu'on ne puisse me reprocher quelques bèvues d'inattention. Celles, que j'ai apperçues, n'ont rapport qu'à des mots, et quelques-unes d'elles ont été corrigées dans l'Errata. Pour ce qui est des erreurs, qui me sont échappées, comme j'ose me flatter qu'elles ne portent aucune atteinte à l'essentiel de mon narré, j'espère que mes Lecteurs les regarderont d'un œil d'indulgence.
 
Je ne saurois m'empêcher d'observer à cette occafion, que quoique j'aie eu soin de ne m'écarter de la plus exacte vérité en aucun endroit de cet Ouvrage, je crains pourtant qu'on ne puisse me reprocher quelques bèvues d'inattention. Celles, que j'ai apperçues, n'ont rapport qu'à des mots, et quelques-unes d'elles ont été corrigées dans l'Errata. Pour ce qui est des erreurs, qui me sont échappées, comme j'ose me flatter qu'elles ne portent aucune atteinte à l'essentiel de mon narré, j'espère que mes Lecteurs les regarderont d'un œil d'indulgence.
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A propos d'ingénieurs, et de l'usage dont ils pourroient être, je ne saurois m'empêcher dé déplorer les imperfections de plusieurs rélations de Païs éloignés, qui ne viennent que de ce que leurs Auteurs, souvent habiles d'ailleurs, n'ont sçu ni dessiner, ni lever un plan : au-lieu que s'ils avoient joint à ces connoissances le talent, peu difficile à aquérir, de faire les Observations
 
A propos d'ingénieurs, et de l'usage dont ils pourroient être, je ne saurois m'empêcher dé déplorer les imperfections de plusieurs rélations de Païs éloignés, qui ne viennent que de ce que leurs Auteurs, souvent habiles d'ailleurs, n'ont sçu ni dessiner, ni lever un plan : au-lieu que s'ils avoient joint à ces connoissances le talent, peu difficile à aquérir, de faire les Observations
 
astronomiqnes les plus communes, la Géographie seroit bien plus parfaite qu'elle n'est à présent ; les dangers de la Navigation seroient considérablement diminués ; et nous connoitrions mieux,  
 
astronomiqnes les plus communes, la Géographie seroit bien plus parfaite qu'elle n'est à présent ; les dangers de la Navigation seroient considérablement diminués ; et nous connoitrions mieux,  
que nous ne faisons, les Mœurs, les Arts, et les productions des Païs étrangers. Quand je fais attention aux puissans motifs, qui devroient engager tous les Voyageurs à aquerir, au moins en partie, les qualités que je viens d'indiquer, sur-tout l'Art de dessiner, qui faciliteroit leurs observations, aideroit et fortifieroit leur mémoire, et leur épargneroit des descriptions ennuieuses et souvent inintelligibles, je ne puis que m'étonner que quelqu'un qui veut se transporter dans des Païs éloignés, pour son instruction, ou pour celle des autres, néglige un moyen aussi nécessaire. J'ajouterai, pour donner un nouveau degré de force à cet argument, qu'outre les usages du Dessein, déjà indiqués, il y en a un, qui, quoique moins frappant, est peut-être plus important que tous les autres ; savoir que ceux qui sont accoutumés à dessimer des objets, les voyent bien plus distinctement que d'autres, qui n'ont pas la même habitude. Car c'est une chose connue par expérience, qu'après avoir envisagé un objet, même assez simple, notre attention ou notre mémoire sont rarement assez fortes pour nous représenter exactement les différentes parties de l'objet ; puisque, tout bien examiné, il se trouvera que, nous nous sommes trompés à l'égard de quelques parties, et qu'il y en a d'autres que nous n'avions absolument point apperçues : au-lieu que celui, qui contracte l'habitude de dessiner ce qu'il voit, apprend aussi à rectifier cette inattention. En comparant ses idées copiées sur le papier avec l'objet qu'il veut représenter, il remarque en quoi il a été trompé par l'apparence, et aquiert avec le tems la faculté de voir des parties, qui lui auroient échappé auparavant, et de mieux conserver l'idée de ce qu'il apperçoit qu'il ne lui aurait jamais été роssiblе, sans les progrès qu'il a faits dans le Dessein.
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que nous ne faisons, les Mœurs, les Arts, et les productions des Païs étrangers. Quand je fais attention aux puissans motifs, qui devroient engager tous les Voyageurs à aquerir, au moins en partie, les qualités que je viens d'indiquer, sur-tout l'Art de dessiner, qui faciliteroit leurs observations, aideroit et fortifieroit leur mémoire, et leur épargneroit des descriptions ennuieuses et souvent inintelligibles, je ne puis que m'étonner que quelqu'un qui veut se transporter dans des Païs éloignés, pour son instruction, ou pour celle des autres, néglige un moyen aussi nécessaire. J'ajouterai, pour donner un nouveau degré de force à cet argument, qu'outre les usages du Dessein, déjà indiqués, il y en a un, qui, quoique moins frappant, est peut-être plus important que tous les autres ; savoir que ceux qui sont accoutumés à dessimer des objets, les voyent bien plus distinctement que d'autres, qui n'ont pas la même habitude. Car c'est une chose connue par expérience, qu'après avoir envisagé un objet, même assez simple, notre attention ou notre mémoire sont rarement assez fortes pour nous représenter exactement les différentes parties de l'objet ; puisque, tout bien examiné, il se trouvera que, nous nous sommes trompés à l'égard de quelques parties, et qu'il y en a d'autres que nous n'avions absolument point apperçues : au-lieu que celui, qui contracte l'habitude de dessiner ce qu'il voit, apprend aussi à rectifier cette inattention. En comparant ses idées copiées sur le papier avec l'objet qu'il veut représenter, il remarque en quoi il a été trompé par l'apparence, et aquiert avec le tems la faculté de voir des parties, qui lui auroient échappé auparavant, et de mieux conserver l'idée de ce qu'il apperçoit qu'il ne lui aurait jamais été possible, sans les progrès qu'il a faits dans le Dessein.
  
 
Ces réflexions, qui méritent incontestablement l'attention de tous les Voyageurs, conviennent d'une façon encore plus particulière aux Officiers de Marine ; puisque, faute d'entendre l'art de
 
Ces réflexions, qui méritent incontestablement l'attention de tous les Voyageurs, conviennent d'une façon encore plus particulière aux Officiers de Marine ; puisque, faute d'entendre l'art de

Version actuelle datée du 5 février 2015 à 18:06

<< Voyage autour du monde de George Anson >> L I Ch I


Préface Anson.jpg

Quoique depuis deux siècles on ait fait de grands progrès dans l'Art de la Navigation, un voyage autour du Monde ne laisse pas d'être considéré comme une chose singulière, et le Public a toujours parut fort curieux des accidens, qui accompagnent la plupart du tems cette entreprise extraordinaire. Je n'ignore pas que le plaisir de s'amuser excite dans le gros des Lecteurs cette espèce de curiosité ; mais cela n'empêche point, que la partie la plus Intelligente du Genre-humain ne convienne que de pareilles rélations, quand elles sont fidèlement faites, peuvent puissamment contribuer à l'avancement de la Navigation et du Commerce, et par cela même au bien de la Nation : car toute description exacte de Côtes étrangères et de Païs peu connus, servira à l'une ou à l'autre de ces importantes fins, à proportion des richesses, des besoins, ou des productions de ces Païs, et de notre ignorance touchant ces Côtes. Ainsi un voyage autour du Monde annonce le détail le plus intéressant, puisque la plus grande partie s'en fait par Mer, et oblige à visiter des Côtes, dont on n'a jusqu'à présent que des idées fort imparfaites, et qui sont voisines d'une Contrée fameuse par ses Trésors et en même tems par sa pauvreté, en ce qu'elle manque de ce qu'il faut pour les nécessités et les agrémens de la vie.

Ces considérations ont donné lieu à la publication de l'Ouvrage suivant, qui surement est propre à contenter le goût qu'on a naturellement pour l'extraordinaire, et à contribuer, autant qu'aucune autre rélation du même genre, qui ait été publiée jusqu'à présent, à la sureté et au succès des Navigateurs à venir, aussi bien qu'à étendre notre Commerce et notre puissance. Les particularités déjà connues de cette entreprise doivent avoir excité une curiosité générale : car si l'on fait attention à la force de l'Escadre destinée à cette expédition, aux malheurs que chaque Vaisseau en particulier eut à essuyer, ou bien aux exemples frappans des retours de fortune, qui eurent continuellement lieu durant tout le cours de l'expédition, le peu qu'on fait à chacun de ces égards, ne peut que faire souhaiter d'en savoir davantage. Que si cette réfléxion est fondée rélativement à la partie historique de cet Ouvrage, elle l'est bien plus encore par rapport aux endroits instrucifs, qui y sont presque par-tout entremêlés : car j'oserois assurer, sans craindre d'être contredit, qu'aucun Voyage, qui me soit tombé entre les mains, ne contient autant de vues de Païs, de Sondes, de plans de Ports et de Rades, de Cartes, et d'autres secours propres à perfectionner la Géographie et la Navigation, qu'il s'en trouve dans cette rélation. Ces articles sont d'autant plus importants, que la plupart ont rapport à des Païs, qui ont été ,ou point, ou mal décrits, jusqu'à présent : défaut, qui devoit naturellement faire manquer les entreprises qu'on auroit pu former dans la suite, ou même causer la perte des Hommes et des Vaisseaux, qui y auroient été employés.

Outre le nombre et le choix de ces desseins, et descriptions de Côte, il y a encore une autre particularité, qui en relève beaucoup le prix ; Savoir l'extrême exactitude avec laquelle les uns et les autres ont été faits. J'exprimerais très imparfaitement ce que je pense à cet égard, si je disois, qu'on n'a encore rien publié en ce genre de plus parfait, ni peut-être même d'aussi bon. Ce ne sont point des copies d'Ouvrages d'autrui, ni des Ouvrages de Cabinet composés sur des Mémoires imparfaits, écrits par des Observateurs négligens ou mal habiles, comme on l'a vu mille fois ; mais la plus grande partie de ces desseins a été faite sur les lieux avec la dernière exactitude, par la direction, et sous les yeux de Mr. Anson lui-même. Il n'y en a que trois ou quatre, que des mains moins habiles ont tracés, ou qui ont été pris sur l'Ennemi, et dont par cela même on ne peut répondre : aussi ai-je toujours eu soin d'en avertir le Lecteur, pour qu'il ne leur ajoutât pas foi trop aveuglément, quoique je sois persuadé que ces plans mêmes sont pour le moins aussi corrects que ceux qu'on trouve insérés dans différens voyages. Car comme il n'est pas possible de se former une idée exacte de Rades, de Ports, et de vues de Païs, d'en lever les Plans, et de les mettre sur le papier, sans y employer du tems, de l'attention, de l'habileté ; ceux, à qui ces qualités manquent, y suppléent souvent par de hardies conjectures et par des descriptions fabriquées à plaisir ; et comme le seul moyen de les réfuter, est d'aller sur les lieux, et de s'exposer aux risques,que leurs fausses informations font toujours naître en pareil cas, ils ne craignent pas d'être découverts. Ainsi, pendant qu'ils en imposent au Public par leurs productions supposées, ils ne font pas conscience de se vanter en même tems d'avoir apporté à leur travail toute l'exactitude possible. Ceux, qui ne sont point au fait de la Marine, ne doivent pas s'imaginer que de pareilles tromperies n'ont rien de criminel ; car comme une vue exacte des terres est le guide le plus sur qu'un Pilote puisse suivre sur une Côte où il n'a jamais été auparavant, toute fiction sur un sujet si intéressant doit toujours traîner à sa suite de grands dangers, et la perte de сeux, qui ont le malheur d'être trompés.

Outre Les Plans des endroits, où, Soit Mr. Anson lui-même, soit quelques-uns des Vaisseaux sous son commandement, ont touché durant le cours de cette expédition, et les descriptions, aussi bien que les directions rélatives à ces endroits, on trouvera, dans cet Ouvrage, 1e détail et la Carte d'une Navigation, dont, si l'on excepte ceux qui y ont été employés immédiatement, on n'a jusqu'à présent guère plus connu que le nom : je veux dire la route du Galion de Manille[1] dans son passage d' Acapulco à travers la partie Septentrionale de la Mer Pacifique. Cet article important est tiré des Cartes et des Journaux trouvés à bord du Vaisseau de Manille. L'autorité de ces pièces est d'autant plus respectable, qu'elles sont le fruit d'une expérience de plus de cent cinquante ans, et que d'ailleurs elles ont été confirmées, dans les points les plus essentiels, par le témoignage unanime de tous les Espagnols pris à bord de ce Vaisseau. Comme tous ceux de leurs Journaux, que j'ai eu occasion d'examiner, ne me paroissent pas mal faits, j'ose dire que les Navigateurs à venir peuvent se fier à la Carte de cet Océan Septentrional, rélativement à la route de ces Galions.

Je n'entrerai point ici dans la discussion des avantages attachés à une exacte connoissance de cette Navigation, et des projets dont une pareille connoissance pourroit faciliter l'exécution,tant en tems de Guerre, qu'en tems de Paix ; car, outre que ce n'en est point ici le lieu, ces projets et ces avantages seront aisément démêlés par ceux qui sont au fait de la Marine.

Comme les Vaisseaux de Manille sont les seuls qui ayent jamais traversé la partie Septentrionale de ce vaste Océan, à l'exception de deux Vaisseaux François, qui furent saisis à leur arrivée à la Côte de Méxique, et que depuis près de deux siècles, que ce Commerce se fait, les Espagnol ont eu grand soin de cacher toutes les rélations de leurs voyages aux autres Nations ; cette raison seule aurait pu suffire pour m'engager à communiquer au Public ces pièces, qui sont d'une grande utilité en Géographie, et d'ailleurs curieuses à plus d'un égard. Elles ont, outre cela, un autre mérite, et qui n'est pas le moindre, savoir les variations de l'Aiguille aimantée dans la Mer Pacifique. Ces variations, qui sont marquées sur la Carte, et qui ont été tirées des Journaux Espagnols confirment puissamment le Systême général, que le savant Docteur Halley a formé sur ce sujet, et sont par cela même, d'une utilité infinie pour le Commerce et la Navigation. Ce Grand-homme verroit avec une satisfaction infinie, s'il vivoit encore, les prédictions qu'il a publiées il y a plus de cinquante ans, quoiqu'il n'eût pas la moindre observation, faite dans la Mer Pacifique, exactement vérifiée. La détermination de la variation de l'Aiguille aimantée dans cette partie du Monde, est d'autant plus importante, que les Editeurs d'une nouvelle Carte de variation, qui a été publiée en dernier lieu, ont, faute d'observations faites dans la Mer Pacifique , donné dans une fausse analogie, et se sont trompés sur la nature même de la variation dans la partie Septentrionale de cette Mer, mettant à l'Ouest une déclinaison qui va à l'Est ; outre qu'ils la font trop petite de douze ou treize degrés. J'ai cru devoir entrer dans ce petit détail, relativement à la partie Hydrographique et Géographique de cet Ouvrage : partie, dont je ne fais ici qu'indiquer l'utilité et l'importance ; mais il y a un autre point, qui exige des éclaircissemens un peu plus détaillés. On trouvera dans cet Ouvrage quelques particularités sur l'état où l' Amérique Espagnole se trouvoit alors, et sur les dispositions actuelles des Peuples qui l'habitent. Comme, dans ces différens articles, ce que je dis ne s'accorde guère avec les idées généralement reçues, je me crois obligé de marquer les autorités sur lesquelles je me suis fondé en ces occasions, afin de me garantir de l'imputation d'avoir, ou donné dans une crédulité puérile, ou, ce qui seroit bien plus mauvais, trompé mes Lecteurs de dessein prémédité.

Mr. Anson, avant de partir pour son expédition, eut soin de se pourvoir, non seulement des voyages imprimés, qui pourroient lui être de quelque usage, mais aussi des meilleures rélations manuscrites qu'il put avoir de tous les Etablissemens Espagnols sur les Côtes du Chili, du Pérou, et du Méxique : il compara soigneusement ce qu'il trouva dans ces rélations, avec le témoignage de ses Prisonniers, et avec les lumières qu'il tira de plusieurs personnes intelligentes, qui lui tombèrent entre les mains dans la Mer du Sud. Il eut aussi le bonheur de trouver, dans quelques-unes des captures qu'il fit, un grand nombre de Lettres et de papiers de la dernière importance. Plusieurs de ces Lettres, écrites par le Viceroi du Pérou au Viceroi de Santa Fée , aux Présidens de Panama et du Chili, à Don Blas de Lezo, Amiral des Galions, et à divers autres personnages revêtus des premières charges, contenoient ordinairement un abrégé de celles auxquelles elles servoient de réponse ; ce qui mit Mr. Anson au fait d'une partie considérable de la correspondance qu'il y avoit eu entre ces Officiers, quelque tems avant notre arrivée sur ces Côtes, Nous avons pris outre cela une grande quantité de Lettres, que des personnes, employées par le Gouvernement, écrivoient à leurs Amis et à leurs Correspondans. Ces Lettres étoient remplies de narrations rélatives aux affaires publiques, et renfermoient quelquefois des réfléxions où il n'entroit aucun déguisement sur les vues et la conduite de leurs Supérieurs. Ce sont-là les matériaux dont a été formé le récit de quelques évènemens rélatifs aux Espagnols, et qui doivent paroître presque incroyables à la prémière vue. De ce genre est la rélation des malheurs qu'éprouva l'Escadre de Pizarro. Cependant cette partie de la rélation, qui regarde la conspiration d' Orellana et de ses Compagnons, est encore confirmée par une autre autorité que celle des Lettres interceptées, je veux dire, le témoignage d'un Anglois qui se trouvoit à bord du Vaisseau de Pizarro lors de la révolte, et qui s'étoit souvent entretenu avec Orellana. D'autres témoins du même fait, qu'on a eu occasion d'interroger, en ont confirmé les principales circonstances par leur déposition : desorte que ce fait, quoique très étrange, ne peut être révoqué en doute.

Je ne saurois m'empêcher d'observer à cette occafion, que quoique j'aie eu soin de ne m'écarter de la plus exacte vérité en aucun endroit de cet Ouvrage, je crains pourtant qu'on ne puisse me reprocher quelques bèvues d'inattention. Celles, que j'ai apperçues, n'ont rapport qu'à des mots, et quelques-unes d'elles ont été corrigées dans l'Errata. Pour ce qui est des erreurs, qui me sont échappées, comme j'ose me flatter qu'elles ne portent aucune atteinte à l'essentiel de mon narré, j'espère que mes Lecteurs les regarderont d'un œil d'indulgence.

On s'attend peut-être qu'après avoir rendu compte, d'une manière générale, du contenu de cet Ouvrage, je dois me hâter de passer à l'Ouvrage mème ; mais je ne saurois finir cette Préface sans ajouter quelques réfléxions sur une matière, qui a une liaison très étroite avec le Voyage de Mr. Anson, et qui ne me paroit, par cela même, ni inutile ni indigne de l'attention du Public. Je voudrois, s'il est possible, animer mes Compatriotes, autant que le poste qu'ils occupent pourra le permettre, à encourager toutes les observations, qui ont rapport avec la Géographie et la Navigation, aussi bien que tout ce qui est capable de contribuer à l'avancement des Méchaniques et du Commerce. C'est par un attachement constant à ces choses, qui ne semblent être que des minuties, que nos ambitieux voisins ont établi une partie de cette puissance, contre laquelle nous luttons actuellement : et comme nous avons entre les mains les moyens de faire à tous ces égards plus de découvertes qu'eux, ce seroit un deshonneur pour nous, si nous négligions plus longtems un article si facile et si important. Comme nos Forces navales sont beaucoup plus nombreuses que celles des François, et qu'une partie considérable de ces forces est toujours employée fort loin de chez nous, soit à protéger nos Colonies et notre Commerce, soit a défendre nos Alliés contre l'Ennemi commun, nous avons de fréquentes occasions de nous procurer les connoissances que je viens d'indiquer, et qui nous feroient d'un avantage infini, tant en tems de guerre qu'en tems de paix : car, sans parler de ce qu'il y auroit lieu d'attendre de nos Officiers de Haut-bord, s'ils étoient excités à entreprendre ces sortes de recherches, il n'en couteroit rien au Gouvernement de régler, qu'à l'avenir, il y auroit constamment à bord de quelques-uns de nos Vaisseaux de guerre, destinés à faire des voyages de long cours, un homme, qui, avec le titre d'Ingénieur, et l'habileté, aussi bien que les talens, requis dans cette profession, seroit chargé de donner la description et le plan, tant des Côtes que des Ports où le Vaisseau toucheroit, et de faire telles autres observations qui tendissent à l'avantage des Navigateurs à-venir, ou à l'utilité publique. Ceux, qui se seroient exercés pendant quelques années à remplir cette commission, outre qu'ils en vaudroient mieux comme ingénieurs, pourroient rendre encore d'autres services importans, et garantir nos Flottes de disgrâces semblables à celles qu'elles ont essuiées plus d'une fois à l'attaque des Places. Dans un Païs, tel que le notre, où toutes les Sciences sont étudiées avec plus d'ardeur et de succès, qu'en lieu du Monde, les bons Sujets ne manqueront pas, pourvu qu'on ait soin de les encourager. Les François nous ont fourni à cet égard plusieurs exemples, et un entre autres, en la personne de Mr. Frézier[2]. Cet Ingénieur nous a donné une excellente rélation de son voyage dans la Mer du Sud, où il fut envoyé par Louis XIV, en 1711, à bord d'un Vaisseau marchand, avec ordre d'examiner et de décrire les Côtes de cette Mer, et de lever des Plans de toutes les Places fortifiées le long de ces Côtes ; le tout afin de mettre les François en état de continuer avec moins de risque leur Commerce de contrebande, ou, en cas de rupture avec la Couronne d' Espagne, de les rendre plus redoutables aux Espagnols dans le nouveau Monde. En suivant cette méthode, nous pourrions espérer, que l'accumulation qui naitroit parmi ceux, qu'on chargeroit de ces sortes de commissions, et l'expérience, qu'ils ne pourroient manquer d'aquérir par-là même, en tems de paix, nous fourniroient à la fin un bon nombre d'habiles ingénieurs, et effaceroit la honte, à laquelle nous avons plus d'une fois été exposés pour avoir négligé d'avoir à notre service des hommes habiles dans cette profession : de pareils hommes méritant mieux que tout autre, en tems de guerre, les encouragemens et les profits qu'ils ont eus en tems de paix. Les avantages, trop nombreux pour en faire l'énumération, et trop récens pour être oubliés, que les François ont retirés de leur attention à avoir une quantité prodigieuse de bons Ingénieurs, ne confirment que trop ce que je viens de dire.

A propos d'ingénieurs, et de l'usage dont ils pourroient être, je ne saurois m'empêcher dé déplorer les imperfections de plusieurs rélations de Païs éloignés, qui ne viennent que de ce que leurs Auteurs, souvent habiles d'ailleurs, n'ont sçu ni dessiner, ni lever un plan : au-lieu que s'ils avoient joint à ces connoissances le talent, peu difficile à aquérir, de faire les Observations astronomiqnes les plus communes, la Géographie seroit bien plus parfaite qu'elle n'est à présent ; les dangers de la Navigation seroient considérablement diminués ; et nous connoitrions mieux, que nous ne faisons, les Mœurs, les Arts, et les productions des Païs étrangers. Quand je fais attention aux puissans motifs, qui devroient engager tous les Voyageurs à aquerir, au moins en partie, les qualités que je viens d'indiquer, sur-tout l'Art de dessiner, qui faciliteroit leurs observations, aideroit et fortifieroit leur mémoire, et leur épargneroit des descriptions ennuieuses et souvent inintelligibles, je ne puis que m'étonner que quelqu'un qui veut se transporter dans des Païs éloignés, pour son instruction, ou pour celle des autres, néglige un moyen aussi nécessaire. J'ajouterai, pour donner un nouveau degré de force à cet argument, qu'outre les usages du Dessein, déjà indiqués, il y en a un, qui, quoique moins frappant, est peut-être plus important que tous les autres ; savoir que ceux qui sont accoutumés à dessimer des objets, les voyent bien plus distinctement que d'autres, qui n'ont pas la même habitude. Car c'est une chose connue par expérience, qu'après avoir envisagé un objet, même assez simple, notre attention ou notre mémoire sont rarement assez fortes pour nous représenter exactement les différentes parties de l'objet ; puisque, tout bien examiné, il se trouvera que, nous nous sommes trompés à l'égard de quelques parties, et qu'il y en a d'autres que nous n'avions absolument point apperçues : au-lieu que celui, qui contracte l'habitude de dessiner ce qu'il voit, apprend aussi à rectifier cette inattention. En comparant ses idées copiées sur le papier avec l'objet qu'il veut représenter, il remarque en quoi il a été trompé par l'apparence, et aquiert avec le tems la faculté de voir des parties, qui lui auroient échappé auparavant, et de mieux conserver l'idée de ce qu'il apperçoit qu'il ne lui aurait jamais été possible, sans les progrès qu'il a faits dans le Dessein.

Ces réflexions, qui méritent incontestablement l'attention de tous les Voyageurs, conviennent d'une façon encore plus particulière aux Officiers de Marine ; puisque, faute d'entendre l'art de dessiner et de lever des Plans, il n'y a plus de Cartes ni de vues de terre à avoir, ni, par cela même, presque plus de Navigation. C'est sans doute, en considération de toutes ces utilités, que Sa Majesté a établi un Maître de Dessein à Portsmouth, pour l'instruction de ceux qui sont destinés à remplir les différens postes de la Marine. II ne manque pas de Gens prévenus de l'idée, qu'un bon homme de Mer doit être aussi rude et ausi intraitable que l'Elément, auquel il est tous les jours exposé, et qui regarde les Sciences et les Arts, comme les Ennemis du vrai courage. Il faut supposer que de pareilles absurdités n'ont jamais été favorisées par le Public, et qu'en tout cas leur règne est passé. Si ceux qui gardent encore quelques restes de ces erreurs, étoient capables de raison, ou dociles à l'expérience, il suffiroit, pour les convaincre, de leur dire, que les meilleurs Desseins qu'ils trouveront dans cette rélation, quoiqu'assez bien faits pour faire honneur à un Peintre de profession, sont l'Ouvrage de Mr. Piercy Brett un des Lieutenans de Mr. Anson et depuis Capitaine du Lion. Quand Mr. Brett ne seroit connu que par son mémorable combat contre l' Elizabeth, action comparable aux plus belles que notre siècle ait vues, il n'en faudroit pas davantage pour prouver ma thèse, c'est que les Beaux Arts sont bien éloignés de diminuer en rien la valeur, 1e sens, et l'adresse de ceux qui s'y appliquent. Si on considère que la pratique la plus commune de la Navigations dépend de plusieurs branches de différentes Sciences, et si l'on fait attention aux avantages que la pratique a tirées de ces Sciences, à ne remonter qu'à un petit nombre d'années, on sera porté à croire qu'il n'y a aucune profession qui exige plus de théorie et de réflexion que la Marine, sans compter la Géographie, la Géométrie et l'Astronomie, qu'un Officier de Mer ne peut ignorer tout-à-fait sans rougir, vu que son Journal et l'estime journalière du cours de fon Vaisseau ne sont fondées que sur des branches de ces Arts ; on ne peut douter que la maneuvre, et la conduite d'un Vaisseau, l'arrimage, et la disposition des Voiles, ne soient des articles où la connoissance des Méchaniques ne soit d'une très grande utilité. Lorsqu'on examine la fabrique d'un Vaisseau, le nombre et la variété de ses Voiles, et tout ce qui est nécessaire pour les mettre dans leurs différentes positions, on est frappé de l'invention, et de la sagacité, qui y paroit, mais on sent en même tems, qu'un tour de génie savant et spéculatif peut trouver des moyens de faire agir les parties d'une Machine aussi composée, bien plus avantageux que ceux qu'offre une routine aveugle. Mais il est tems de finir cette digression, elle retarde le plaisir qu'aura le Lecteur en lisant un Ouvrage, qui mérite certainement toute son attention, par l'importance du sujet et par l'excellence des matériaux dont il est composé ; je souhaiterois qu'on pût être aussi content de l'Art avec lequel l'Auteur les a mis en œuvre.

Notes

  1. Vaisseau marchand qui faisait la route transpacifique entre les possessions espagnoles des Philippines et celles du Mexique, le trajet vers les Philippines se faisait poussé par les alizés de nord-Est, le trajet inverse supposait une remontée au nord pour atteindre la zone des vents d'Ouest. Ces routes transocéaniques ont été mises en place par les Espagnols dès le XVIème siècle. Couplées à une traversée terrestre du Mexique, elle concrétisaient le rève de Colomb d'une voie commerciale par l'Ouest avec les îles aux épices d'Asie.
  2. Amédée François Frézier, célèbre dans le pays de Brest pour son introduction de la fraise blanche du Chili à l'origine de la culture des fraises à Plougastel.
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