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De Wiki-Brest

Pour Total c'est que dalle

Un texte signé Alice repris du blog arradondailyphoto placé sous licence Creative Commons by nc nd

Quand j'étais enfant, sur les côtes finistériennes, nous étions habitués au retour de la plage, à enlever le cambouis sur nos pieds et nos maillots de bain avec du beurre, la graisse chasse la graisse, chacun sait ça. Tout le monde savait que ces boules de mazout étaient des cadeaux laissés par tous les pétroliers qui dégazaient allègrement au large des côtes bretonnes. Régulièrement, la situation empirait, quand un bateau-poubelle faisait naufrage un peu plus loin et encore aujourd'hui, Torrey Canyon (1967), Boehlen et Olympic Bravery (1976) sont des noms qui sentent le fuel pour tout le monde ici.

On râlait, on s'insurgeait et on raclait nos bottes maculées...Ben oui, "à part juillet et août, la Bretagne, tout le monde s'en fout!" comme le disait si justement Coluche.

En 1978, j'ai vu les plages du nord-Finistère engluées sous le pétrole de l'Amoco Cadiz. J'ai vu les vagues s'aplatir comme des crèpes empoisonnées, lourdes de fuel, sur le sable noir. J'ai vu les rochers recouverts d'une gangue funèbre. J'ai vu l'étrave du monstre, si près de la côte qu'on pouvait presque la toucher de la main.

Puis vinrent Gino en 1979 et le Tanio en 1980. Mais c'était moins pire, on était presque soulagés!

Et ce fut le tour de l'Erika qui fit naufrage le 12 décembre 1999. Le 24, la marée noire était là. Joyeux Noël. A nouveau, les plages noires, les rochers brillants comme une route sous la pluie, les silhouettes en combinaison blanche ramassant à pleine main les galettes de pétrole dans des seaux...Les petites criques du Croizic engluées sous la nappe épaisse de plusieurs centimètres...Le sable roux d'Etel devenu brun...La noria des camions-benne remplis de tonnes de sable et d'algues sur les routes...L'odeur écoeurante et grasse...Et les oiseaux.

Goélands, Mouettes rieuses, Cormorans, et d'autres que je n'avais jamais vus, venus du large, Fous de Bassan, Pingouins Torda, Guillemots, Macareux, petits corps momifiés jetés sur les plages, comptés et décomptés par les organisations de protection. Paquets de plumes collées d'où dépassait un pauvre bec noirci.

Les volontaires se sont démenés dans des gymnases transformés en cliniques vétérinaires. Les oiseaux encore vivants furent lavés dans des machines spéciales. Des vétérinaires canadiens et américains, forts de leur triste expérience en Alaska (Exxon Valdez - 1989), avaient fait le voyage pour nous aider. Les oiseaux qui survivaient au stress étaient peu nombreux, nous les contemplions dans les bassins d'eau de mer aménagés sur le parking, pauvres témoins de la quasi-inutilité de nos efforts. Chirac est venu serrer quelques mains, "merci madame, merci monsieur, de ce que vous faites", avant de repartir dans son hélicoptère, son devoir accompli, ouf.

Et aujourd'hui, huit ans après, Total est condamné à verser 192 pauvres petits millions d'euros aux parties civiles qui en demandaient un milliard. L'Etat français empochera la plus grande partie de la somme. "Pour Total, c'est que dalle!" comme le dit ds29 au Guilvinec, mais pour la première fois en France, un jugement reconnait l'existence d'un préjudice écologique.

On n'a pas attendu la justice pour nettoyer nos plages. Heureusement.

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