Pour amenuiser un peu plus les difficultés d'accès aux futurs ateliers, deux môles furent
établis entre 1842 et 1850 : le premier à l'angle Sud-est du plateau, à l'aplomb de Pontaniou,
le second à l'extrémité Nord du plateau des Capucins, dominant Bordenave. La responsabilité
des chantiers fut également confiée à la Direction des Travaux Hydrauliques. Ces deux
constructions étaient destinées à supporter les grues nécessaires à l'acheminement des charges
lourdes au sommet du plateau.
- Le premier fut baptisé môle du viaduc ou plus tard viaduc de la grue. Celui-ci
devait servir au transfert des pièces de navires, notamment les plus imposantes : machines,
chaudières, artillerie... entre les hauteurs des Capucins et les quais en contrebas. Exécuté tout
en pierres de taille sur les plans de l'ingénieur Menu du Mesnil, il est encore actuellement
relié au Plateau par une arche en plein cintre de 30,60 m d'ouverture. Il fut fondé à une
grande profondeur au-dessus des plus basses mers (cinq mètres soixante-quinze).
Sur le plan de Brest de 1855 apparaissent les mentions d'un « Viaduc » qui serait surmonté
d'une grue mais les représentations les plus anciennes de cette partie des Capucins nous
montrent ce môle surmonté de bigues comparables à celles de la Tour à mâter se situant à
proximité du château. Ce caractère pourrait confirmer que le môle fut également destiné au
matage des bâtiments dès l'origine.
Quoiqu'il en soit, cette grue figurant sur le plan remplaça vraisemblablement rapidement ces
bigues ou fonctionna en parallèle. De quelle marque était-elle, quelle était sa provenance, sa
puissance ? Nous ne pouvons le dire. Peut-être était-ce d'ailleurs le système de bigues qui
était dénommé « Grue » à cette époque car jusqu'en 1857, nous n'avons pas retrouvé mention
de ce type d'équipements sur le viaduc. A partir de ce moment, des éléments archivistiques
nous montrent que les fabricants d'apparaux tentaient de placer leur production auprès de
l'arsenal brestois. Ce fut par exemple le cas de la société Voruz de Nantes qui avait équipé
l'Etablissement Impérial d'Indret en 1856, en grues vapeur et en plaques tournantes destinées
au réseau ferré. Un courrier retrouvé au Service Historique de la Marine à Brest 25 le
confirme:
« « Je puis vous adresser, aujourd'hui, les dessins cotés des grues roulantes et des
plaques tournantes que j'ai confectionnées et livrées à l'Etablissement Impérial d'Indret à la
fin de décembre 1856, au nombre de 4 grues et 12 plaques [...].
48
25 Série G - Sous série 1G776 - Pièce 20002
Détails d'un plan de 1855 figurant les ateliers, le viaduc et mentionnant la grue qui le surmontait alors.
Archives Municipales et Communautaires Brest
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Je possède deux modèles de grues, l'un de la force de 5 tonnes, l'autre de la force de 7 tonnes
5. Ces appareils, destinés à la manutention d'énormes pièces, soit sur les chemins de fer, soit
aussi avec un avantage marqué, dans les Grands Ateliers de Construction pour desservir les
grosses machines-outils, offrent une stabilité parfaite, soit à vide, soit en charge.
Le mécanisme et le contrepoids sont emprisonnés dans une caisse [... ?...] et par ce
fait, les hommes qui font la manoeuvre sur une plateforme qui sert de base à la grue, sont à
l'abri de tous dangers. Un chapelet de galets, mobile, permet l'évolution facile de la grue.
L'appareil peut être tiré sur un chemin de fer au moyen de chevaux ou de boeufs et pour
parcourir les petites distances, un mécanisme de translation mu à bras, au moyen d'une
manivelle, est placé à une des extrémités de la plateforme, cette disposition n'est pas
indifférente attendu que, fort souvent, et dans les Ateliers des Constructions surtout, il peut se
présenter latéralement des obstacles à la manoeuvre.
Le prix de la grue de 5 tonnes, du poids approximatif de 17000 kg est de 12500.
Le prix de la grue de 7 tonnes ½ du poids approximatif de 19500 k est de 15000.
La plaque tournante de 3,50 m de diamètre appliquée au service des Chantiers et
Ateliers de l'Etablissement Impérial d'Indret, pouvant porter une charge de 40 tonnes,
chariot compris, du poids de 7500 k environ, est du prix de 52 francs les 100 kg ».
Courrier du 30 octobre 1857 à Mr Brousmiche - Brest. En provenance de J. Voruz - Nantes.
Certains détails de ce courrier nous incitent à penser que jusqu'à ce jour le plateau n'était pas
pourvu d'un réseau ferré mais rien ne nous permet d'affirmer que ce sont ces appareils qui
équipèrent un jour le site des Capucins. Les éléments qui sont avérés datent des débuts de
l'agrandissement du site industriel, au début de la décennie 1860. Il s'agit de la mise en place
des engins Neustadt dont nous parle P. Levôt dans son descriptif de 1865.
Ces petites grues à vapeur équipées de « chaînes de Galle » étaient destinées à lever des
charges inférieures à 6 tonnes. Une nouvelle correspondance du SHM de Brest nous permet
de prendre connaissance des premières approches de Mr Neustadt, Ingénieur des Chemins de
Fer de Paris à Orléans, pour équiper l'arsenal brestois de ces inventions.
Extrait du courrier de M. C Neustadt, pour Mr Bayle 26, Directeur des Constructions Navales,
en date du 1er décembre 1859 27 :
« [...] J'ai pensé, Mr le Directeur, que vous pourriez avoir l'occasion d'employer les
appareils d'enlevage de mon système, soit pour le service de vos quais, soit pour celui de vos
Ateliers de Constructions [...] ».
26 Bayle devient Directeur des Constructions Navales en mai/Juin 1858, en remplacement de Fauveau.
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Selon les dires de l'Ingénieur Neustadt, 300 grues de son système fonctionnaient alors déjà en
France. Une brochure descriptive de ces grues (malheureusement disparue aujourd'hui) était
jointe à ce courrier.
Comme nous aurons l'occasion de l'aborder ultérieurement, le système Neustadt fut
également adopté pour l'équipement de la fonderie, au moment de l'agrandissement des
ateliers. Par rapport à l'époque précédente où l'ensemble des apparaux destinés à la
production étaient fabriqués sur place, cette alliance entre les ingénieurs de la construction
navale étatique et ceux d'une industrie privée symbole de la révolution industrielle (Le
chemin de fer) illustre bien les nouvelles orientations de partenariat et de division du travail
qui prenaient déjà corps à cette époque à l'arsenal de Brest
27 Série G - Sous série 1G776 - Pièce 20091
Plans d'élévation du viaduc (Source DTM)
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Viaduc surmonté de bigues Cliché daté du 16 avril 1861- Aucune grue n'est alors apparente
SHM Brest
Viaduc surmonté de bigues- sd
SHM Brest
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- Le second môle, appelé môle de la grosse chaudronnerie, était implanté à
proximité de cet atelier, à l'aplomb des grandes forges de Pontaniou, c'est-à-dire à l'angle
Sud-est du plateau. Il dominait les bassins et les ateliers de l'anse et la base de la rampe des
Capucins. Il était lui-aussi muni de bigues, vraisemblablement jusqu'aux années 1860.