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Le jeu de la lutte en Bretagne en 1543 : Différence entre versions

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La lutte est en Bretagne un sport national dont l'origine est fort lointaine et remonte sans doute au temps où les Romains occupèrent en grand nombre la région d'Armorique avec César, plus lointaine encore peut-être dans le passé si, avec quelques historiens, on la regarde comme un legs du passage des Phéniciens dans la contrée. Ambroise Paré, qui fut le grand chirurgien que tout le monde connaît, fut aussi un grand voyageur, à la suite des princes et des armées ; il put assister au «Â jeu de la lutte » et nous en a laissé un court récit qui est certainement parmi les plus anciens. Comment Paré se trouvait-il à l'extrémité de la Bretagne en 1543 ? En voici l'explication en deux mots.
 
La lutte est en Bretagne un sport national dont l'origine est fort lointaine et remonte sans doute au temps où les Romains occupèrent en grand nombre la région d'Armorique avec César, plus lointaine encore peut-être dans le passé si, avec quelques historiens, on la regarde comme un legs du passage des Phéniciens dans la contrée. Ambroise Paré, qui fut le grand chirurgien que tout le monde connaît, fut aussi un grand voyageur, à la suite des princes et des armées ; il put assister au «Â jeu de la lutte » et nous en a laissé un court récit qui est certainement parmi les plus anciens. Comment Paré se trouvait-il à l'extrémité de la Bretagne en 1543 ? En voici l'explication en deux mots.
  
Une flotte anglaise croisait alors sur les côtes bretonnes, prête à opérer un débarquement<ref>En 1543, l'Angleterre, dont le roi est alors Henry VIII d'Angleterre, allié avec l'empereur d'Autriche Charles Quint, entre en guerre contre la France, dont le roi est alors François Ier. Si Charles Quint signe en septembre 1544 avec la France la trêve de Crépy-en-Laonnais, l'Angleterre et la France restent en guerre jusqu'au traité d'Ardres signé en 1546</ref>. Le duc d'Estampes, gouverneur de la Bretagne, en informe François Ier qui se trouvait dans un camp du nord de la France et lui demande du renfort. Il priait tout particulièrement de lui envoyer les sires de Rohan et de Laval, Bretons comme lui, qui, plus que d'autres, auraient à cœur de défendre leur pays ; ces trois seigneurs reçurent du Roi pleins pouvoirs avec le même titre de "lieutenants du Roi". Rohan, en grande hâte, partit en poste, emmenant avec lui Ambroise Paré qui est chirurgien de sa compagnie et tous deux, dans le minimum de temps, parvinrent à Landerneau. Là, ils trouvent toute la population en armes et le tocsin sonnant de toutes parts, de Brest, du Conquet, de Crozon, du Faou, de Daoulas... Le gouverneur non plus n'a pas perdu son temps ; les paroisses sont sur le pied de guerre et Paré nous donne des moyens de défense une énumération que Rabelais ne désavouerait pas ; il y a de tout : canons, doubles-canons, bastardes, mousquets, passe-volans, pièces de campagne, couleuvrines, serpentines, basiliques, sacres, faucons, fauconneaux, flûtes, orgues, hacquebutttes à croc. Toutes les avenues sont bien gardées. La flotte anglaise arriva à une portée de canon et fut reçue comme il convenait.
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Une flotte anglaise croisait alors sur les côtes bretonnes, prête à opérer un débarquement<ref>En 1543, l'Angleterre, dont le roi est alors Henry VIII d'Angleterre, allié avec l'empereur d'Autriche Charles Quint, entre en guerre contre la France, dont le roi est alors François Ier. Si Charles Quint signe en septembre 1544 avec la France la trêve de Crépy-en-Laonnais, l'Angleterre et la France restent en guerre jusqu'au traité d'Ardres signé en 1546</ref>. Le duc d'Estampes<ref>Jean IV de Brosse (1505-1564), duc d'Étampes, est alors gouverneur de la Bretagne</ref>, gouverneur de la Bretagne, en informe François Ier qui se trouvait dans un camp du nord de la France et lui demande du renfort. Il priait tout particulièrement de lui envoyer les sires de Rohan<ref>René Ier de Rohan (1516-1552), 18e vicomte de Rohan, prince de Léon, qui eut la réputation d'être un vaillant soldat</ref> et de Laval, Bretons comme lui, qui, plus que d'autres, auraient à cœur de défendre leur pays ; ces trois seigneurs reçurent du Roi pleins pouvoirs avec le même titre de "lieutenants du Roi". Rohan, en grande hâte, partit en poste, emmenant avec lui Ambroise Paré qui est chirurgien de sa compagnie et tous deux, dans le minimum de temps, parvinrent à Landerneau. Là, ils trouvent toute la population en armes et le tocsin sonnant de toutes parts, de Brest, du Conquet, de Crozon, du Faou, de Daoulas... Le gouverneur non plus n'a pas perdu son temps ; les paroisses sont sur le pied de guerre et Paré nous donne des moyens de défense une énumération que Rabelais ne désavouerait pas ; il y a de tout : canons, doubles-canons, bastardes, mousquets, passe-volans, pièces de campagne, couleuvrines, serpentines, basiliques, sacres, faucons, fauconneaux, flûtes, orgues, hacquebutttes à croc. Toutes les avenues sont bien gardées. La flotte anglaise arriva à une portée de canon et fut reçue comme il convenait.
  
 
Paré était joyeux de voir «Â les vaisseaux faisans voile qui estoient en bon nombre et bon ordre et sembloient estre un forest marcher sur la mer ». Il s'émerveille aussi «Â des balles de bien grosses pièces qui faisoient de grands bonds et trottoient sur l'eau comme eles font sur terre ».
 
Paré était joyeux de voir «Â les vaisseaux faisans voile qui estoient en bon nombre et bon ordre et sembloient estre un forest marcher sur la mer ». Il s'émerveille aussi «Â des balles de bien grosses pièces qui faisoient de grands bonds et trottoient sur l'eau comme eles font sur terre ».

Version du 15 novembre 2011 à 06:37

Un article du journal "Le Figaro" du 12 septembre 1932 évoque le témoignage d'Ambroise Paré[1] datant de 1543 qui décrit le jeu de la lutte alors pratiqué en Bretagne, ainsi qu'une tentative de débarquement anglais.

La lutte est en Bretagne un sport national dont l'origine est fort lointaine et remonte sans doute au temps où les Romains occupèrent en grand nombre la région d'Armorique avec César, plus lointaine encore peut-être dans le passé si, avec quelques historiens, on la regarde comme un legs du passage des Phéniciens dans la contrée. Ambroise Paré, qui fut le grand chirurgien que tout le monde connaît, fut aussi un grand voyageur, à la suite des princes et des armées ; il put assister au «Â jeu de la lutte » et nous en a laissé un court récit qui est certainement parmi les plus anciens. Comment Paré se trouvait-il à l'extrémité de la Bretagne en 1543 ? En voici l'explication en deux mots.

Une flotte anglaise croisait alors sur les côtes bretonnes, prête à opérer un débarquement[2]. Le duc d'Estampes[3], gouverneur de la Bretagne, en informe François Ier qui se trouvait dans un camp du nord de la France et lui demande du renfort. Il priait tout particulièrement de lui envoyer les sires de Rohan[4] et de Laval, Bretons comme lui, qui, plus que d'autres, auraient à cœur de défendre leur pays ; ces trois seigneurs reçurent du Roi pleins pouvoirs avec le même titre de "lieutenants du Roi". Rohan, en grande hâte, partit en poste, emmenant avec lui Ambroise Paré qui est chirurgien de sa compagnie et tous deux, dans le minimum de temps, parvinrent à Landerneau. Là, ils trouvent toute la population en armes et le tocsin sonnant de toutes parts, de Brest, du Conquet, de Crozon, du Faou, de Daoulas... Le gouverneur non plus n'a pas perdu son temps ; les paroisses sont sur le pied de guerre et Paré nous donne des moyens de défense une énumération que Rabelais ne désavouerait pas ; il y a de tout : canons, doubles-canons, bastardes, mousquets, passe-volans, pièces de campagne, couleuvrines, serpentines, basiliques, sacres, faucons, fauconneaux, flûtes, orgues, hacquebutttes à croc. Toutes les avenues sont bien gardées. La flotte anglaise arriva à une portée de canon et fut reçue comme il convenait.

Paré était joyeux de voir «Â les vaisseaux faisans voile qui estoient en bon nombre et bon ordre et sembloient estre un forest marcher sur la mer ». Il s'émerveille aussi «Â des balles de bien grosses pièces qui faisoient de grands bonds et trottoient sur l'eau comme eles font sur terre ».

L'alerte fut chaude mais sans dommages, et les Anglais retournèrent en Angleterre «Â saints et entiers ». Les chefs et les gens d'armes purent alors prendre un peu de bon temps à courir la bague ou à combattre à l'épée d'armes. Le gouverneur, pour divertir les seigneurs de Rohan, de Laval et autres gentilshommes faisient aussi venir des villageoises pour danser le «Â triori » et chanter en bas breton. Paré se montre insensible aux chants et prétend que leur harmonie était de coaxer comme font les grenouilles. Le duc d'Estampes engageait aussi des lutteurs des villes et des villages du voisinage et distribuait des prix. Sans doute, il y avait bien des jambes et des bras rompus, des épaules et des hanches démises, et on peut croire que Paré ne chômait pas ; ne dit-il pas quelque part que lorsqu'il y avait quatre blessés, trois étaient pour lui !

L'une de ces luttes se termina tragiquement. Ici, il faut laisser la parole à Paré lui-même, qui est toujours simple et agréable à lire, Je copie sur la très belle édition de 1598, dédiée au Très-Chrestien Roy de France et de Pologne Henry Troisième ; le passage est court :

«Â Il y eut un petit bas breton bien quadraturé, fessu et matériel, qui tint fort longtemps le berlan, et par son astuce et force en jeta cinq ou six par terre. Il survint un grand Dativo, magister d'école, qu'on disait être un des meilleurs lutteurs de toute la Bretagne : il entre en lice, ayant ôté sa longue jacquette, en chausse et en pourpoint et, étant près le petit homme, il semblait que s'il eût été attaché à sa ceinture, il n'eût pas laissé de courir. outeflos, quand ils se prirent de collet à collet, ils furent longtemps sans rien faire et pensait-on qu'ils demeureraient égaux en force et en astuce : mais le petit fessu se jeta en sursaut t d'emblée sous ce grand Dativo, le chargea sur son épaule et le jeta en terre sur les reins tout étendu comme une grenouille et alors tout le monde commença à bien rire de la force et astuce du petit fessu. Ce grand Dativo eut grand dépit d'avoir été ainsi jeté par terre par un si petit hommet ; il se releva tout en colère et voulut avoir sa revanche. Ils se prirent derechef collet à collet et furent encore un bien long temps à leurs prises, ne se pouvant mettre par terre ; enfin ce grand homme se fit tomber sur le petit et en tombant mis son bras au creux de l'estomac et lui creva le cœur et le tua tout mort. Et, sachant lui avoir donné le coup de la mort, repris sa longue jaquette et s'en alla la queue entre les jambes et s'éclipsa voyant que le cœur ne revenait point au petit homme, pour vin et vinaigre, ni autre chose qu'on lui présentât. Je m'approchai de lui, tâtai le pouls qui ne battait nullement, alors dit qu'il était mort. Adonc les bretons qui assistaient à la lutte dirent tout haut en leur baragouin : «Â Cela n'est pas de jeu ! » Et quelqu'un dit que ce grand Dativo était coutumier de ce faire et qu'il n'y avait qu'un an qu'il avait fait le semblable à une lutte. »

Paré ne perdit pas cette occasion de faire une autopsie et trouva beaucoup de sang au thorax et au ventre. Le pauvre petit lutteur fut enterré et Paré prit congé de ses chefs. Bien qu'il n'y eût pas de combats, le grand chirurgien avait montré plus d'une fois sa science et sa dextérité. Le sire de Rohan lui fit présent de cinquante doubles ducats et d'une hacquenée ; le sire de laval lui donna un «Â courtault » pour son valet, Monsieur d'Estampes un diamant de trente écus et Paré s'en revint à sa maison de Paris. Pas pour longtemps car Rohan vint tôt l'y chercher, et tous deux, encore une fois, gagnèrent le camp de Perpignan.

(Journal "Le Figaro" n°256 du 12 septembre 1932[5])

Notes et références

  1. Ambroise Paré, né vers 1510 près de Laval, décédé le 20 décembre 1590 à Paris, est considéré comme le père de la chirurgie moderne
  2. En 1543, l'Angleterre, dont le roi est alors Henry VIII d'Angleterre, allié avec l'empereur d'Autriche Charles Quint, entre en guerre contre la France, dont le roi est alors François Ier. Si Charles Quint signe en septembre 1544 avec la France la trêve de Crépy-en-Laonnais, l'Angleterre et la France restent en guerre jusqu'au traité d'Ardres signé en 1546
  3. Jean IV de Brosse (1505-1564), duc d'Étampes, est alors gouverneur de la Bretagne
  4. René Ier de Rohan (1516-1552), 18e vicomte de Rohan, prince de Léon, qui eut la réputation d'être un vaillant soldat
  5. Consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k297084r/f4.image.r=Daoulas.langFR
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