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De Brest à Péribonka : Louis Hémon l'apatride

Louis Hémon vit le jour à Brest le 12 octobre 1880. Fut-il Brestois pour autant ? Après deux années passées face à la rade, il dut quitter la terre natale pour s'en aller vivre à Paris où son père, professeur de lettres, avait obtenu sa mutation. Premier déracinement1. Sans doute le berceau familial se situe-t-il à Quimper, sans doute le jeune Hémon savoura-t-il avec délice les vacances passées à Pleyben, Bréhoulou ou Beg-Meil, sans doute a-t-on pu tenter d'offrir à Maria Chapdelaine le Cheval d'Orgueil pour “honorable monture” 2... Ni Brestois ni Breton

Tentatives vaines, à vrai dire, tant il est vrai que la trajectoire de Louis Hémon l'éloigna inexorablement de ses racines. L'écrivain ne fut pas Breton, pas plus qu'il ne fut Brestois. Issu de l'élite républicaine - un père agrégé, un oncle député - il passa, selon ses propres termes, une “jeunesse terne” à Paris, où “la lente oppression du thème grec” finit par avoir raison de sa “combativité”. Deuxième déracinement. Incapable de trouver place dans un modèle familial aussi contraignant qu'une version latine, Louis Hémon renonça à une carrière diplomatique et prit la clé des champs en janvier 1903 pour s'installer à Londres, où son caractère flegmatique put s'affermir à loisir.

Ecrivain, à Londres puis au Québec

C'est aussi outre-Manche qu'il se découvrit écrivain : chroniques sportives et récits publiés en feuilletons se succédèrent en ces quelques années littérairement intenses. Après la publication en 1908 de Lizzie Blakeston dans le journal Le Temps, un premier roman vit le jour - Colin-Maillard (1908) -, suivi de Battling Malone (1909), puis de Monsieur Ripois et la Némésis (1910-1911). Troisième déracinement. Quittant femme et enfant, Louis Hémon traversa l'Atlantique en 1911 et partit à la découverte des terres canadiennes. Après quelques mois passés à Québec et à Montréal, il posa ses valises dans la région du Saguenay, vaste zone pionnière où, par un travail continuel de défrichage, l'humanité s'efforçait quant à elle de prendre racine.

Maria Chapdelaine, un roman du déracinement

La rédaction de Maria Chapdelaine commença donc en 1912, à Péribonka dans un premier temps, puis à Saint-Gédéon, au sud-est du lac Saint-Jean. Dans une sorte de puissant retour aux origines, Louis Hémon y évoque l'affrontement titanesque que l'homme et la nature se livrent en cette contrée au climat rigoureux et à la terre encore vierge. Vies laborieuses de pionniers, scandées par les travaux et les jours comme par l'alternance des saisons ; vies sans histoire, en somme, au rythme de l'éternel retour, où pourtant l'étincelle se produit : Maria Chapdelaine doit-elle également entonner “cette éternelle lamentation des paysans, si raisonnable d'apparence, mais qui revient tous les ans, tous les ans...” ? Il s'agit bien d'un roman du déracinement, dont le ressort fondamental est le difficile, voire illusoire, apprentissage de la liberté - étincelle fugace dont Louis Hémon fut lui-même en quête perpétuelle.

Un chef-d'œuvre détourné

Il y a tout lieu par conséquent de s'étonner de la destinée de cette œuvre assurément subversive, qui fut interprétée tantôt comme l'apologie des valeurs familiales, catholiques et conservatrices d'une société bien-pensante, tantôt comme le ferment de l'identité canadienne. Ces “récupérations” abusives, contre lesquelles l'auteur, mort prématurément en 1913, ne put élever la voix, eurent cependant pour corollaire ce qu'il faut bien appeler une falsification du texte original. Si la première “édition”, parue en feuilleton dans Le Temps en 1914, reste assez fidèle au tapuscrit, il n'en est pas de même de la seconde, publiée en 1916 à Montréal, et récemment acquise par la Bibliothèque municipale de Brest3. L'ouvrage, de très belle facture, est agrémenté de deux préfaces et de belles illustrations de Suzor-Côté, comme s'il fallait compenser dans la forme les “corrections”, en particulier lexicales, apportées au fonds4. Cette version “princeps” ayant servi d'étalon, les mêmes écarts se répercutèrent au gré des éditions, contribuant ainsi à inscrire au folklore québécois ce “Récit du Canada français”.

Apatride en effet, Louis Hémon, puisqu'il fut à plus d'un titre exproprié de son œuvre-maîtresse. Ni Brestois, ni Québécois, il sut toutefois explorer un territoire commun à ces deux cultures, le seul peut-être où il put, comme cultivateur de la langue, jeter ses propres racines : celui de la littérature. • Nicolas Tocquer

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