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Voyage autour du monde fait dans les années 1740, 1, 2, 3, 4, L I Ch III : Différence entre versions

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LIVRE I CHAPITRE III


Histoire de l'Escadre commandée par Don Joseph Pizarro.


L'Escadre équipée par ordre de la Cour d' Espagne pour traverser l'exécution de nos projets, étoit, à ce que nous supposons, la même que celle dont nous avons parlé dans le Chapitre précédent. Le but de l'équipement de cette Escadre étant manifestement relatif à notre Expédition, le récit des malheurs qu'elle essuya, et dont nous avons été informés par des Lettres interceptées, et par d'autres moyens, nous a paru appartenir à cet Ouvrage. On verra par-là, que notre entreprise donna occasion à la perte d'une partie considérable de la puissance Navale de l' Espagne, et empêcha cette Cour de poursuivre avec la même ardeur l'exécution de ses desseins ambitieux en Europe ; car les Hommes et les Vaisseaux, que les Espagnols perdirent dans ce long voyage, ne furent perdus pour eux qu'en conséquences des précautions qu'ils prirent pour se mettre en garde contre nos attaques. Cette Escadre, à l'exception de deux Vaisseaux destinés pour les Indes Occidentales, qui ne s'en séparèrent qu'après avoir quité l'Ile de Madère, étoit composée des Vaisseaux de guerre suivans, sous les ordres de Don Joseph Pizarro.

L' Asie de soixante-six pièces de Canon, et de sept cens hommes. C'étoit le Vaisseau Amiral.

Le Guipuscoa de soixante et quatorze pièces, et de sept cens hommes.

L' Hermione de cinquante-quatre pièces, et de cinq cens hommes.

L' Espérance de cinquante pièces, et de quatre cens cinquante hommes.

Le St. Etienne de quarante pièces et de trois cens cinquante hommes ; et une Patache de vingt pièces.

Ces Vaisseaux, outres leurs Matelots et leurs Soldats de Marine, avoient à bord un vieux Régiment d'Infanterie Espagnole, destiné à renforcer les Garnisons le long de la côte de la mer du Sud. Après que cette Flotte eut croisé durant quelques jours sous le vent de Madère, comme nous l'avons dit dans le Chapitre précédent, elle fit voile au commencement de Novembre pour la rivière de la Plata, ou elle laissa tomber l'ancre dans la Baye de Maldonado, à l'embouchure de cette rivière. Aussitôt que ces Vaisseaux eurent mouillé, l'Amiral Pizarro fit sur le champ demander des vivres à Buénos Ayres, n'en ayant pris avec lui, à son départ d' Espagne, que pour quatre mois. Pendant que les Espagnols attendoient des provisions en cet endroit, ils reçurent avis de la part du Gouverneur Portugais de Ste. Catherine, que Mr. Anson étoit arrivé à cette Ile le 21 du mois de Décembre, et se préparoit à remettre en mer avec toute la diligence possible. Pizarro, nobobstant la supériorité des ses forces, avoit ses raisons, et suivant bien des gens ses ordres, d'éviter notre Escadre par-tout hormis dans la mer du Sud. Outre cela, il souhaitoit très fort de doubler le Cap Horn avant nous, cela seul suffisant, à ce qu'il croyoit, pour déconcerter tous nos desseins. C'est ce qui le détermina, aussitôt qu'il sçut que nous étions dans le voisinage, et que nous avions dessein de gagner le cap Horn, à continuer sa route avec les cinq grands Vaisseaux : La Patache ayant été jugée hors d'état de faire le voyage, fut désagréée, et on en tira l'Equipage. L'Amiral Espagnol après s'être arrêté dans la Baye de Maldonado dix sept jours, en partit sans attendre ses provisions, qui arrivèrent au lieu de leur destination le surlendemain de son départ. Nous quittames la rade de Ste. Catherine quatre jours avant qu'il ne mît à la voile, et dans notre trajet jusqu'au Cap Horn, les deux Escadres se trouvèrent quelquefois si près l'une de l'autre, que la Perle, un de nos Vaisseaux, étant séparée du reste, donna dans la Flotte Espagnole, et ayant pris l' Asie pour le Centurion pensa tomber entre les mains de l'Ennemi, et ne se sauva qu'à peine, ayant été à la portée du Canon du Vaisseau Amiral.

<googlemap lat="-14.774883" lon="-19.6875" zoom="3" width="700" height="700"> -34.611781, -58.417309, Buenos Aires, d'où devaient provenir les fournitures et les provisions pour les vaisseaux espagnols. -34.994004, -54.931641, Baie de Maldonado, l'escadre espagnole en repart le 22 janvier 1741. 32.644798, -16.90967, Madère -27.566721, -48.466187, Ile de Sainte Catherine (Santa Catarina), les anglais en repartent le 18 janvier 1741. -54.800685, -64.204102, Terre des Etats -54.72462, -65.126953, Détroit de Le Maire franchi par les anglais le 6 mars 1741. -52.643063, -68.466797, Entrée orientale du Détroit de Magellan

  1. F8EF07

-34.994004, -54.931641, Baie de Maldonado, l'escadre espagnole en repart le 22 janvier 1741. -39.232253, -54.667969 -43.325178, -59.589844 -46.195042, -61.875 -52.589701, -64.335937 -55.875311, -65.214844 -56.848972, -67.324219 -55.9492, -56.601562 -50.289339, -52.734375 -40.84706, -49.746094 -34.741612, -47.460937 -29.113775, -49.174805, Naufrage du Guipuscoa, le 24 avril 1741, sur la Côte du Brésil au sud de Santa Catarina, à son retour, après avoir vainement tenté de franchir le cap Horn. </googlemap>

Les Espagnols étant partis de Maldonado le 22 de Janvier, comme il a été dit, ils ne pouvoient guère se flatter d'arriver à la hauteur du Cap Horn avant l'Equinoxe ; et avoient lieu de craindre un tems orageux, en doublant ce Cap en cette saison. Pour surmonter cette difficulté, qui étoit d'autant plus grande, que les Matelots Espagnols accoutumés à naviguer dans un Païs où l'on a presque toujours beau tems, n'entreprendroient pas volontiers une traversé si dangereuse, on avança à ces derniers une partie de leur paye en marchandises d' Europe, avec permission d'en faire commerce dans la mer du Sud. Le profit, qu'il pourroient faire par là, étoit un motif propre à leur faire supporter avec patience les travaux et les périls, qu'ils auroient probablement à essuyer avant que d'arriver sur la côte du Pérou. Pizarro avec son Escadre ayant, vers la fin de Février, dépassé la hauteur du Cap Horn, porta à l'Ouest, dans l'intention de doubler ce Cap ; mais la nuit du dernier de Février, V. S. comme ils portoient le Cap au vent, le Guipuscoa, l' Hermione et l' Espérance furent séparé de l'Amiral ; et le 6 de Mars suivant, le Guipuscoa fut séparé des deux autres. Le 7, qui fut le lendemain du jour que nous passames le Détroit de Le Maire, il vint une furieuse tempête du N.O., laquelle, en dépit de tous les efforts des Matelots, chassa toute l'Escadre du coté de l'Est, et l'obligea, après plusieurs tentatives inutiles, à prendre le chemin de la rivière de la Plata, où Pizarro arriva vers la Mi-Mai, et fut joint peu de jours après par l' Espérance et le St. Etienne. On croit que l' Hermione doit avoir péri en mer, car on n'en a eu depuis aucune nouvelle : le Guipuscoa échoua sur la côte du Brézil et coula à fond. Les maux de tous les genres que cette Escadre éprouva dans cette malheureuse Navigation, ne peuvent être comparés qu'à ceux que les mêmes tempêtes nous firent essuyer dans le même climat. Il y eut à la vérité entre nos infortunes quelque différence, mais telle cependant qu'il seroit difficile de décider quelle des deux situations étoit la plus digne de pitié. Car aux malheurs qui nous étoient communs, comme des Agrés endommagés, des navires qui faisoient eau, et les fatigues, aussi que le découragement, qui accompagnent nécessairement de pareils désastres, se joignit encore sur notre Escadre une maladie destructive et incurable, et sur celle des Espagnols une cruelle Famine. Ces derniers, soit par la précipitation de leur départ, et dans l'espérance de trouver des vivres à Buénos Ayres, soit par quelque autre motif plus difficile à deviner, étoient partis d' Espagne, comme nous l'avons déjà observé, n'ayant de provisions à bord que pour quatre mois, et cela encore en les bien ménageant. Ainsi quand les tempêtes, qu'ils essuyèrent à la hauteur du Cap Horn, les contraignirent à tenir la mer un mois ou plus au delà de leur attente, il se virent réduits à de si tristes extrémités, que des rats, quand on avoit le bonheur d'en prendre, se vendoient quatre écus pièce ; et qu'un Matelot, cacha pendant quelques jours la mort de son frère, et resta, durant ce tems, dans le même branle avec le cadavre, dans l'unique vue de profiter de la pitance du défunt. Dans une si affreuse situation, et qu'ils ne soupçonnoient guère pouvoir devenir plus terrible, ils découvrirent une conspiration formée par les Soldats de Marine du Vaisseau Amiral. Un projet si désespéré leur avoit été suggéré principalement par l'excès de la misère qu'ils souffroient : car quoique les conspirateurs ne se proposassent pas moins que de massacrer les Officiers et tout l'Equipage, le but de cette sanguinaire résolution se réduisoit néanmoins au désir de soulager leur faim, en s'appropriant tous les vivres du Vaisseau. Leur dessein fut découvert par un Confesseur, dans le temps qu'ils étoient sur le point de l'exécuter, et trois de leurs Chefs furent sur le champ punis de mort. Mais, quoique la conspiration fut étouffée, leurs souffrances n'en allèrent pas moins de jour en jour en augmentant. Si bien que les trois Vaisseaux qui se sauvèrent, perdirent la plus grande partie de leur monde par la fatigue, les maladies, et la faim. L' Asie, leur Vaisseau Amiral arriva à Monte Védiodans la rivière de la Plata, avec la moitié de son Equipage ; le St. Etienne se trouvoit dans le même état, quand il jetta l'ancre dans la Baye de Barragan ; l' Espérance, Vaisseau monté de cinquante pièces de Canon, fut plus malheureux encore ; car de quatre cens cinquante hommes avec lesquels il étoit parti d' Espagne, il n'en resta en vie que cinquante-huit, et tout le Régiment d'Infanterie périt, à l'exception de soixante hommes. Mais pour donner au Lecteur une idée de ce que les Espagnols souffrirent en cette occasion, je rapporterai en peu de mots le sort du Guipuscoa, j'ai tiré ce détail d'une Lettre écrite par Don Joseph Mendinuetta Capitaine de ce Vaisseau, à une personne de distinction à Lima : une copie de cette Lettre nous tomba entre les mains dans le tems que nous étions dans la mer du Sud.

Le Guipuscoa fut séparé de l' Hermione et de l' Espérance par un brouillard, le sixième de Mars, étant alors, suivant l'estime au S. E. de la Terre des Etats, et portant à l'Ouest; la nuit suivante il s'éleva une si furieuse tempête du N. O., que vers les dix heures et demie la grande voile fut déchirée, et qu'on osa faire servir que la mizaine : le Vaisseau faisoit dix nœuds par heure, avec une mer prodigieusement agitée, et souvent le couroir étoit sous l'eau. La tempête fendit aussi son grand mât ; et le navire faisoit tellement eau, que malgré quatre Pompes, et toutes les Bailles, on eut grand' peine à sauver le Vaisseau. Le tems se calma le 19 mais la mer resta si haute, que le roulis fit entrouvrir tous les hauts du Navire et les coutures, et fit carguer les abouts et la plupart des courbes, les Chevilles étant déhallées par la violence du roulis. Malgré ces accidens et plusieurs autres arrivés tant au corps du Navire qu'aux Agrés, il ne laissèrent pas de continuer à porter à l'Ouest jusqu'au 12. Les Espagnols étoient alors vers les soixante degrés de Latitude Méridionale, avec très peu de vivres, et chaque jour quelques gens de l'Equipage, à force de pomper, mouroient de lassitude. Ceux qui leur survivoient, avoient entierement perdu courage, tant à cause du travail et de la faim, que de la rigueur du tems, le tillac étant couvert de neige à la hauteur de deux empans. Le vent continuant à être toujours à l'Ouest, et très violent, ce qui les mettoit dans l'impossibilité de doubler le Cap Horn, il se déterminèrent à regagner la rivière de la Plata : le 22, ils furent obligés de jetter en mer une bonne partie de leurs Canons, et une Ancre, et de passer six fois le cable autour du Vaisseau, pour l'empêcher de s'ouvrir : le 4 d' Avril, la mer étant fort agitée quoiqu'il fît peu de vent, le Vaisseau se tourmenta si fort, qu'il perdit en peu d'heures son grand mât, le mât de Misaine, et le mât d'Artimon ; et pour comble de malheur, ils furent réduits à la nécessité de couper leur Beaupré, pour relever un peu la proue, qui avoit une voye d'eau. Vers ce tems-là l'Equipage étoit diminué de deux cens cinquante hommes, qui étoient morts de faim et de fatigues ; car ceux qui se trouvoient en état de faire jouer les pompes (ce que chaque Officier étoit obligé de faire à son tour) n'avoient par jour qu'une once et demie de Biscuit ; au-lieu qu'on ne donnoit qu'une once de pain à ceux qui étoient trop malades ou trop faibles pour soutenir un si rude travail, au milieu duquel on voyoit souvent les gens tomber mort de lassitude. En y comprenant les Officiers il ne restoit à bord qu'entre cent et quatre-vingts personnes en état de manœuvrer. Les vents de Sud-Ouest furent si forts, après qu'ils eurent perdu leurs mâts, qu'ils ne leur fut pas possible d'en mettre d'autres à la place, et le Vaisseau fut le jouet des flots entre les Latitudes de 32 et de 28 degrés, jusqu'au 24 d' Avril, qu'ils apperçurent la côte du Brézil à Rio de Patas, dix lieues au Sud de l'ile de Ste. Catherine. Ils laissèrent tomber l'Ancre en cet endroit, et le Capitaine auroit bien souhaité de gagner Ste. Catherine, afin de sauver le corps du Vaisseau et les Canons, aussi bien que les munitions qu'il avoit à bord ; mais l'Equipage ne voulut plus continuer à pomper, et comme au désespoir des souffrances passées, et d'avoir perdu un si grand nombre de leurs compagnons, (y ayant en ce tems là sur le tillac jusqu'à trente cadavres), s'écria tout d'une voix, à terre, à terre et obligea le Capitaine à courir droit au rivage, où le cinquième jour après, le Vaisseau coula à fond, avec toutes ses munitions. Le reste de l'Equipage, qui par une espèce de miracle se trouvoit encore en vie, se sauva à terre, au nombre de quatre cens hommes.

On peut inférer du récit des avantures et du naufrage du Guipuscoa quel doit naturellement avoir été le sort de l' Hermione, et ce que durent souffrir les trois autres Vaisseaux de l'Escadre, qui gagnèrent la rivière de la Plata. Ces derniers ayant un besoin extrême de Mâts, de Vergues, d'Agrés, en un mot, de tout ce qui est nécessaire sur un Vaisseau, et ne pouvant rien trouver de pareil ni à Buénos Ayres, ni dans aucun autre endroit appartenant aux Espagnols, Pizarro dépêcha une Barque d'avis avec une Lettre de change à Rio Janeiro pour acheter des Portugais ce qui lui manquoit. Il envoya en même temps un Exprès par terre à San Jago dans le Chili, pour être expédié delà au Viceroi du Pérou, et lui demander une remise de 200 000 écus, à prendre du Trésor Royal de Lima : l'Amiral Espagnol croyant cette somme absolument nécessaire pour avitailler les Vaisseaux, et les mettre en état de tenter à nouveau le passage dans la mer du Sud, dès que la saison, devenue plus favorable, pourroit le permettre. Les Espagnols rapportent comme une chose merveilleuse, et elle est telle réellement, que l' Indien, qui servoit de Messager, quoique dépêché en Hiver, quand les Cordilléras sont couvertes de neige, ne mit que treize jours à se rendre de Buénos Ayres à S. Jago dans le Chili, quoique ces deux Villes soient éloignées l'une de l'autre de trois cens lieues d' Espagne, dont il en avoit dû faire près de quarante à travers les neiges et les précipices des Cordilléras.

La réponse du Viceroi du Pérou au message de Pizarro ne fut rien moins que favorable. Au-lieu des deux cens mille écus, que ce dernier avoit demandés, le Viceroi ne lui en fournit que cent mille, ajoutant pour ses raisons, que ce n'étoit encore qu'avec bien de la peine qu'il avoit pu lui procurer cette somme. Les Habitans de Lima, qui jugeoient la présence de Pizarro nécessaire à leur sureté, furent très mécontens de ce procédé, et dirent hautement à qui voulut les entendre, que ce n'étoit pas le manque d'argent, mais les vues intéressées de quelque-uns des Favoris du Viceroi, qui avoient empêché que Pizarro n'eût obtenu toute la somme qu'il avoit demandée.

La Barque d'avis, envoyée à Rio Janeiro, ne repondit aussi qu'en partie au but qu'on s'étoit proposé en la dépêchant. Car quoiqu'elle rapportât une quantité considérable de goudron, de poix, et de cordages, il ne lui fut cependant pas possible d'avoir ni mâts ni vergues. Par un surcroit de malheur, Pizarro qui comptoit de recevoir quelques mâts du Paraguay se trouva trompé dans son attente ; car un Charpentier, à qui il avoit confié une grande somme d'argent et qu'il avoit envoyé dans le païs, que je viens de nommer, pour y couper des mâts, au-lieu de s'aquiter de sa commission, s'y étoit marié, et refusoit de revenir. Cependant, en faisant servir les mâts de l' Espérance sur l' Asie, et quelque bois rond qui étoit encore à bord, on remit l' Asie et le St. Etienne en état de tenir la mer. Au mois d' Octobre suivant, Pizarro mit à la voile, dans l'intention d'essayer encore une fois s'il y auroit moyen de doubler le Cap Horn ; mais le St. Etienne, en descendant la Rivière de la Plata, donna contre un bas-fond, et perdit son Gouvernail. Cet accident, et quelques autres encore, que ce Vaisseau essuya, le mire entièrement hors de service, desorte que Pizarro, après en avoir fait ôter les agrés, partit avec l' Asie. Comme il pouvoit se flatter de faire ce trajet en Eté, et que les vents étoient favorables, il comptoit d'avoir enfin surmonté toutes les difficultés ; mais se trouvant à la hauteur du Cap Horn, son Vaisseau, qui avoit le vent en poupe, la mer étant assez agitée quoique le vent fût assez modéré, perdit ses mâts, par quelque mauvaise manœuvre de l'Officier qui étoit de garde, et Pizarro se vit obligé de gagner une seconde fois la Rivière de la Plata, en fort mauvais état. L' Asie ayant considérablement souffert dans cette seconde tentative, on ordonna de raccommoder l' Espérance qui avoit été laissée à Monte Védio. Le commandement de ce Vaisseau fut donné à Mindinuetta, qui étoit Capitaine du Guipuscoa, quand ce Vaisseau eut le malheur de périr. Ce Capitaine partit, au mois de Novembre de l'année suivante 1742, de Rio de la Plata, pour la mer du Sud, et gagna heureusement la côte du Chili, ou Pizarro, qui étoit venu de Buénos Ayres par terre, le joignit. Ces deux messieurs ne tardèrent pas longtems à se brouiller. La principale cause des disputes très vives, qu'il y eut entre eux, étoit que Pizarro s'arrogeoit le commandement de l' Espérance, que Mindinuetta avoit menée dans la mer du Sud : ce dernier refusoit de remettre son autorité entre les mains de l'Amiral, disant, qu'il avoit fait le trajet, sans être soumis ni à son autorité ni à celle d'aucun autre Chef, et qu'ainsi Pizarro ne pouvoit pas reprendre une autorité, à laquelle il avoit renoncé. Cependant Mindinuette fut obligé, par l'entremise du Président du Chili, qui se déclara pour l'Amiral , de se soumettre après une longue et opiniâtre résistance.

Mais Pizzaro ne se trouvoit pas encore au bout de toutes ses infortunes ; car quand Mindinuetta et lui revinrent, en 1745, par terre du Chili à Buénos Ayres, ils trouvèrent à Monte Védio l' Asie, qu'ils y avoient laissée environ trois ans auparavant. Ils résolurent de mener, si la chose étoit possible, ce Vaisseau en Europe, et dans cette vue, le firent raccommoder du mieux qu'ils purent. Mais la grande difficulté consistoit à trouver un nombre suffisant de Matelots pour faire ce voyage, tous ceux, qui étoient aux environs de Buénos Ayres, n'allant pas à une centaine. Ils tachèrent de remplir ce vuide en prenant par force plusieurs habitans de Buénos Ayres. Outre cela, ils envoyèrent a bord tous les prisonniers Anglois qu'ils avoient alors en leur puissance, avec un bon nombre de Contrebandiers Portugais qu'ils avoient pris en diverses occasions, sans compter quelques Indiens natifs du Païs. Parmi ces derniers se trouvoit un Chef avec dix des siens, qui avoient été surpris trois mois auparavant par un parti de Soldats Espagnols. Le nom de ce Chef étoit Orellana ; il appartenoit à une puissante Tribu, qui avoit bien fait des ravages tout alentour de Buénos Ayres. Ce fut avec cette troupe de gens ramassés de tous côtés, qui à l'exception des seuls Espagnols Européens, faisoient le voyage bien malgré eux, que Pizarro mit à la voile de Monte Védio dans la rivière de la Plata, vers le commencement du mois de Novembre de 1745.

Comme les Espagnols natifs n'ignoroient pas, que l'Equipage forcé qu'ils emmenoient, partoit à contre-cœur, ils traitèrent de la manière la plus dure leurs prisonniers, tant Anglois qu' Indiens ; mais ce fut surtout sur ces derniers que leur humeur cruelle prit plaisir à s'exercer. C'étoit une chose ordinaire aux moindres officiers du Vaisseau de les frapper à toute outrance, sous les prétextes les plus légers, et simplement pour montrer leur autorité. Orellana et ses camarades, quoique patiens et soumis en apparence, se déterminèrent à tirer vengeance de tant d'inhumanités. Comme il parloit bien l' Espagnol qu'il avoit appris par le commerce, que les Indiens de ce Païs-là ont avec les habitans de Buénos Ayres en tems de paix, il lia conversation avec quelques Anglois, qui entendoient cette même langue, et parut fort curieux de savoir combien il y avoit de leurs Compatriotes à bord, et qui ils étoient. Il savoit que les Anglois étoient ennemis des Espagnols ; ainsi il se proposoit sans doute de leur découvrir son projet, et de leur faire prendre part à la vengeance qu'il meditoit, et par le moyen duquel ils pourroient tous recouvrer leur liberté ; mais les ayant sondés légèrement, et ne les trouvant pas aussi vindicatifs qu'il avoit cru, il ne s'ouvrit pas davantage à eux, mais résolut de n'avoir recours qu'à la valeur et l'intrépidité de ses dix compagnons. Ceux-ci, comme il parut, se soumirent volontiers à sa direction, et promirent d'exécuter fidèlement ses ordres. Après être convenus ensemble des mesures qu'il y avoit à prendre, il se pourvurent de couteaux flamands ; ce qui fut très facile, de pareils couteaux étant ceux dont on se sert à bord : outre cela ils employèrent secrètement le tems qu'ils avoient de reste, à couper des bandes de cuir, le Vaisseau étant chargé d'une grande quantité de peaux, et attachèrent à chacune de ces bandes un boulet ramé des petites pièces du demi-pont. Cette espèce d'arme que les Indiens de Buénos Ayres apprennent à manier dès leur enfance, et qu'ils tournent autour de leur tête avec beaucoup de vitesse et de force, est tout-à-fait dangereuse. Tout étant ainsi préparé, l'exécution de leur dessein fut probablement hâtée par un nouvel outrage, dont Orellana fut l'objet. Car un des Officiers, qui étoit la brutalité même ayant commandé à Orellana de grimper jusqu'au haut du mât, ce qui ne lui étoit pas possible, il le maltraita tellement, sous prétexte de punir sa desobéissance, que le misérable Indien resta quelque tems sans mouvement, et tout ensanglanté, sur le tillac. Un traitement pareil le confirma sans doute dans sa résolution, et ne lui laissa aucun repos qu'il ne l'eût exécutée. Voici comment Orellana et ses Compagnons s'y prirent pour cet effet peu de jours après.

Vers les neuf heures du soir, la plupart des principaux Officiers se trouvoient sur le demi-pont, pour jouir de la fraîcheur de la soirée ; le corps du Navire étoit rempli de bétail, et le château de proue garni de monde comme à l'ordinaire. Orellana et ses Compagnons, ayant profité de l'obscurité de la nuit pour préparer leurs armes, et s'étant débarrassés des habits qui auroient pu les empêcher d'agir avec facilité, vinrent tous sur le demi-pont, et s'avancèrent vers la porte de la grande chambre. Le Contre-Maître se mit aussitôt à les gronder, et leur ordonna de se retirer. Orellana dit alors en sa langue maternelle quelques mots à ses gens, dont quatre se détachèrent et allèrent occuper les Couroirs, deux de chaque côté, pendant que le Chef et les six autres sembloient quitter à pas lents le demi-pont. Quand les quatre Indiens, qui s'étoient séparés de leurs Compagnons, se furent postés dans les Couroirs, Orellana approcha de sa bouche le creux de ses mains, et jetta le cri de guerre en usage parmi ses Compatriotes. Ce cri est, dit-on, le plus effroyable qu'on puisse entendre, et servit de signal au massacre. Tous mirent le couteau à la main, et firent usage en même tems de leurs courroyes garnies de boulets ramés. Les six Indiens, qui étoient demeurés avec leur Chef sur le demi-pont, jettèrent en un instant sur le carreau quarante Espagnols, dont il y en eut plus de vingt tués d'un seul coup, et le reste mis hors de combat. Plusieurs Officiers, dès le commencement du tumulte, gagnèrent la chambre du Capitaine, où ils éteignirent la lumière, et barricadèrent la porte. Quelques-uns de ceux, qui avoient eu le bonheur d'échapper aux premiers effets de la fureur des Indiens , tâchèrent de gagner le Château de proue en se glissant le long des Couroirs ; mais les quatre Indiens, qui s'étoient postés là à dessein, les massacrèrent presque tous au passage, ou les forcèrent à se précipiter des Couroirs dans le corps du Vaisseau, d'autres y sautèrent d'eux-mêmes par dessus la balustrade, et se crurent très heureux de pouvoir se cacher parmi le bétail; mais la plus grande partie se sauva dans les haubans du grand mât, et se cacha sur la hune, ou entre les agrés. Quoique les sept Indiens n'eussent fait leur attaque que sur le demi-pont, ceux qui étoient de garde au Château de proue, se voyant coupés, et saisis de crainte à la vue des blessures de ceux qui s'étoient coulés le long des Couroirs, perdirent d'autant plus espérance, qu'ils ignoroient qui étoient les attaquans, et en quel nombre.Ainsi ils gagnèrent tous, dans la dernière confusion, les funins de la Misaine et du Beaupré.

Les onze Indiens avec une intrépidité, dont il n'y a peut-être point d'exemple dans l'Histoire, s'étant rendus maîtres, en moins de rien, du demi-pont d'un Vaisseau, monté de soixante-six pièces de Canon, et de cinq cens hommes, conservèrent assez longtems ce poste. Car les Officiers, qui s'étoient retirés dans la chambre du Capitaine, parmi lesquels se trouvoient Pizarro et Mindinuetta, l'Equipage entre les ponts, et ceux qui s'étoient sauvés sur la hune ou entre les agrés, ne songèrent, d'abord qu'à leur propre conservation ; et il se passa même un tems assez considérable avant qu'ils pensassent aux moyens de se remettre en possession du Vaisseau. Les cris des Indiens, les plaintes des blessés, et les clameurs confuses de l'Equipage, causoient une frayeur, que l'obscurité de la nuit, et l'ignorance où ils étoient touchant les forces de leur ennemi, augmentoient considérablement. Les Espagnols savoient qu'une partie de ceux, qui étoient à bord, ne faisoit le voyage qu'à contre-cœur, et que leurs prisonniers avoient été traités trop cruellement pour n'en раs tirer vengeance, si la chose étoit possible. Ainsi ils crurent la conspiration générale, et se comptèrent perdus sans ressource. Quelques-uns même voulurent se jetter dans la mer ; mais leurs Camarades les en empêchèrent.

Après que les Indiens eurent entièrement nettoyé le demi-pont, le tumulte cessa en quelque sorte ; car ceux, qui s'étoient sauvés, se tinrent tranquilles par frayeur, et les Indiens ne se trouvoient pas en état de les joindre, ni par cela même de les attaquer. Orellana, dès qu'il se vit maître du demi-pont, força une caisse d'armes, que, sur quelque léger soupcon de révolte, on avoit, quelques jours auparavant, placée en cet endroit comme le plus sur. Il croyoit y trouver, tant pour lui-même que pour ses Camarades, un nombre suffisant de coutelas, dont les Indiens de Buénos Ayres savent admirablement bien se servir : il se proposoit, à ce qu'on a pu conjecturer, de forcer la chambre du Capitaine ; mais quand la caisse fut ouverte, il n'y apperçut que des armes à feu, qui ne pouvoient lui être d'aucun usage. Il y avoit cependant des Coutelas dans cette caisse, mais cachés par les armes à feu, qu'on avoit mises dessus. Ce fut sans doute un cruel sujet de dépit pour Orellana d'être obligé de rester dans l'inactiоп, pendant que Pizarro et les autres Officiers, qui étoient dans la grande chambre, pouvoient parler par les fenêtres et par les sabords, à ceux qui se trouvoient dans la Ste. Barbe et entre les ponts. Il scut d'eux que les Anglois, sur qui avoient principalement tombé ses soupçons, se tenoient tranquilles en bas, et ne s'étoient point mêlés de la révolte. L'Amiral, et les autres Officiers, découvrirent enfin par d'autres circonstances, qu' Orellana et ses Compagnons avoient seuls part à l'entreprise. Ce dernier éclaircissement les détermina à charger les Indiens sur le demi-pont, avant que les mécontens, qu'il y avoit à bord du Vaisseau, fussent assez revenus de leur première surprise, pour sentir qu'en se joignant aux Indiens il leur seroit très facile de se rendre maîtres du Vaisseau. Dans cette vue Pizarro гаssembla tout ce qu'il pouvoit y avoir d'armes dans la chambre où il s'étoit barricadé, et les distribua à ses Officiers ; mais il ne trouva pas d'autres armes à feu que des pistolets, sans poudre ni plomb. Néanmoins, comme il avoit communication avec la Ste. Barbe, il dévala par la fenêtre de la grande chambre un seilleau dans lequel le Canonier mit par un des sabords de la Ste. Barbe quelques cartouches de pistolet. Ils chargèrent aussitôt leurs pistolets, et ayant entrouvert la porte de leur chambre, firent feu sur les Indiens qui occupaient le demi-pont, mais sans en blesser d'abord aucun. A la fin Mindinuetta eut le bonheur de tuer Orellana ; et les fidèles Compagnons de ce Chef, ne voulant pas survivre à sa perte, se jettèrent aussitôt dans la mer, où ils se noyèrent tous jusqu'au dernier homme. Ainsi fut étouffée la révolte, et le demi-pont regagné, après qu'il eut été deux heures entières au pouvoir de l'intrépide Orellana et de ses vaillans et malheureux Compatriotes.

Рizaгго ayant échappé à un danger aussi éminent, dirigea son cours vers l' Europe, et arriva sur la côte de Galice, au commencement de l'année 1746 après une absence de près de cinq ans. Le but de son voyage étoit de traverser le succès de notre Expédition ; et le résultat en fut, que la puissance navale de l' Espagne se trouva diminuée de plus de trois mille hommes, l'élite de ses Matelots, et de quatre bons Vaisseaux de guerre sans compter une Patache. Car nous avons vu que l' Hermione avoit coulé à fond en pleine mer, et que le Guipuscoa avoit échoué, et ensuite péri sur la côte du Brézil. Le St. Etienne fut dégradé dans la rivière de la Plata ; et l' Espérance, que l'Amiral laissa dans la mer du Sud, se trouve surement à présent hors d'état de retourner jamais en Espagne. Desorte que l' Asie, avec moins de cent Hommes, doit être considérée comme le seul reste de l'Escadre, qui partit d' Espagne sous les ordres de Pizarro. Si l'on observe, que cette Escadre formoit une partie considérable des forces navales de la Monarchie Espagnole, on m'accordera sans peine, à ce que je m'imagine, que quand notre Expédition n'auroit été accompagnée d'aucun autre avantage que celui de causer en grande partie la perte de la Marine d'un si dangereux Ennemi, ce seul article suffiroit pour dédommager amplement la Nation de ce qui lui en a coûté. Après ce récit abrégé des avantures de Pizarro, il est tems que nous revenions aux nôtres.


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