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Pardon de la Fontaine-Blanche à Plougastel en 1925

Le journaliste Georges Harvard de la Montagne a écrit cette description du Pardon de la Fontaine-Blanche à Plougastel en 1925 :

Vous passez vos vacances dans la Bretagne des plages mondaines et des "palaces"... Et puis, soudain, tout d'un coup, l'inspiration vous vient d'assister à tel "Pardon" du Finistère, chez ces Bretons qui ne se rendent pas et forment l'incoercible carré... Peu à peu se dégageant à travers l'invraisemblable incommodité des trains (lignes qui ne marchent pas de nuit, correspondances établies juste à point pour être manquées), vous percevez la différence des âmes et des caractères. Que dire quand, Landerneau gagné le soir et quitté la nuit tombée, vous parvenez, à huit kilomètres de Brest, dans Kerhuon endormi, Kerhuon, encore si lointaine de Plougastel, de son calvaire et de ses pardons et, n'ouvrant leur accès qu'à la foi persévérante, Kerhuon seule gare d'où l'on puisse en effet joindre Plougastel (si l'on excepte, sur la ligne de Quimper, Daoulas). Mais il faudrait dire la légende de Daoulas[1], la petite ville florissante jadis, mais décidément condamnée à céder devant Brest naissante, du jour où elle avait chassé de ses murs et poussé vers la cité rivale une femme qui venait de donner naissance à sept jumeaux ! L'unique hôtel de Kerhuon comporte dix chambres, toutes assiégées : il couche dans la salle à manger, sur deux chaises de ce bois recourbé et peu moëlleux, le journaliste étourdi qui n'a pas signifié à temps sa venue.

Emile Dezaunay (1854-1938) : "Femmes de Plougastel au pardon" (aquatinte en couleurs de 30,2 x 45 cm), montrant des femmes portant la Plougastellen (la coiffe de Plougastel) et le costume comprenant un quadrille blanc sur fond bleu

Contre-temps minime ! On ne se lève que plus tôt, le lendemain, pour courir au Passage (les gens du pays disent : « À la mer »), car, de Brest ou de Kerhuon, jusqu'à la réalisation du viaduc promis[2], qui y amènera toute la canaille des grandes villes, Plougastel ne se joint pas plus par voie de terre que par voie de fer : il faut franchir l'Élorn magnifiquement large, et qui souvent souffle en tempête, dans un bac aux proportions et à la physionomie ridicules, parmi des multitudes de matelots et d'officiers mariniers...

Puis ce sont deux kilomètres de « grimpette » à pic entre des rochers qu'on sent près à se refermer pour vous couper la route. À gauche, apparition apocalyptique, deux groupes de roches formidables ; l'œil et l'imagination ne veulent y voir que les ruines d'un château fort de taille antédiluvienne et titanique. Et l'on est pris au cœur par cette nature tour à tour farouche, amène et fantastique, dans un site inoubliable qui, à la fois connaît d'effarantes tempêtes et produit en foule le plus délicat et le plus tendre des fruits, la petite fraise veloutée de Plougastel.

Plougastel, l'église, le calvaire où s'inscrivent toutes les scènes de la vie et de la passion du Christ, par le truchement de personnages si vrais et d'une action si grouillante... Au bord, une buvette, où l'on vous refuse du cidre, ô hérésie !, mais où une petite fille arbore le plus délicieux costume qui puisse se voir : jupe noire, tablier violet, corsage vert, bonnet blanc brodé et rehaussé d'un ruban rouge. M'en croirez-vous ? Rien ne détone ni ne heurte dans cette toilette aux tons vifs, vera incessu patuit dea, c'est la démarche et le port d'une reine !

Tout ce monde se met en route pour la chapelle de la Fontaine-Blanche. Un peu longs, les 1500 mètres que disent les guides. Mais quel plaisir des yeux ! Ce papillotement des "coëffes" chez les femmes marchant en groupe avec la plus grande dignité ; les hommes au grand chapeau, la veste bleu tendre et cravate noire, boutons blancs, cols brodés, parfois une éclatante veste lie-de-vin remplaçant la veste bleue. Et les fillettes (dès l'âge de trois ans!) et les garçonnets ! Ce sont effets qui ne se laissent pas chiffonner, mais tiennent un rôle de sauvegarde, telles des robes de religieuses !

La chapelle dans ce fond de verdure, la chapelle où beaucoup de pèlerins ne peuvent entrer ; l'on se presse contre la porte ouverte ; sans un mot, sans un sourire, on prend, du dehors, part à l'office. Et 'on chante, gravement, un beau latin, comme je ne l'ai jamais entendu chanter.

Le soir, procession de l'église du bourg à la chapelle. Bannières déployées (admirables bannières), les statues des saints sortant avec les paroissiens, qui les portent religieusement. Le groupe des « jeunes » (en tenue de boy-scouts hélas !), l'Étoile de Saint-Guénolé, dont les tambours et les clairons scandent la marche ; les Filles de Marie, les Sœurs de Sainte-Thérèse ; les Mères chrétiennes ; saints Carentin (sic, Corentin), Claude et Trimeur (sic, Trémeur). Et le clergé, qu'accompagne un vicaire général de Sa Grandeur de Quimper et de Léon...

Spectacle de foi et de recueillement inouïs, malgré le malheur des temps. Et combien nous devons remercier de nous l'offrir ce grand et pauvre peuple breton, traqué par tant d'années de République, traqué par le petit fonctionnaire persécuteur et par l'assimilation indiscrète du régiment et des chemins de fer ; traqué dans sa foi, dans sa langue, dans l'arôme de ses coutumes, dans ses intérêts, dans ses fidélités, dans la pudeur de son extrême sentimentalité ; dans son magnifique respect pour la hiérarchie, dans son acceptation sereine de la place que Dieu avait assignée à chacun des siens sur la terre ! Pauvre peuple breton, si longtemps obstiné dans sa résistance, mais si odieusement trompé en définitive par la plupart de ceux entre lesquels il s'était remis, dans une naïve et confiante obéissance. Qu'on songe seulement à l'ingénieuse tendresse de sa piété : honorer le Dieu fait Homme, non pas seulement dans sa Bonne Mère, mais dans sa Mère-grand, sa Bonne Maman, Madame Sainte Anne !...

(Georges Harvard de la Montagne, "Un pardon", journal "Le Gaulois" n°17494 du 28 août 1925)[3].

Notes et références

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