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Naufrageurs et pilleurs d'épaves : Différence entre versions

(Les naufrageurs, une légende infondée)
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La légende rapport que, dans des temps reculés, il y avait en Bretagne des peuples terriblement cruels. Ils étaient si pauvres qu'ils allumaient, dit-on, des feux sur le sentier des douaniers pour tromper les navires, pour provoquer la perdition des bateaux qui voguaient au large. Lorsque ceux-ci coulaient, ils tuaient d'une mort atroce tous les éventuels survivants et rejetaient leurs cadavres à la mer pour mieux s'approprier leurs biens...
 
La légende rapport que, dans des temps reculés, il y avait en Bretagne des peuples terriblement cruels. Ils étaient si pauvres qu'ils allumaient, dit-on, des feux sur le sentier des douaniers pour tromper les navires, pour provoquer la perdition des bateaux qui voguaient au large. Lorsque ceux-ci coulaient, ils tuaient d'une mort atroce tous les éventuels survivants et rejetaient leurs cadavres à la mer pour mieux s'approprier leurs biens...
  
Cette légende a fait couler beaucoup d'encre, y compris parmi les intellectuels illustre. En 1832, Jules Michelet écrit ainsi : " ''Encore, si [les Bretons] attendaient toujours le naufrage, mais on assure qu'ils l'ont souvent préparé. Souvent, dit-on, une vache, promenant à ses cornes un fanal mouvant, a mené les vaisseaux sur les écueils<ref>[[Jules Michelet]], ''Tableau de la France'', paru dans "La Revue des deux Mondes", 1832</ref>.''" . Guy de Maupassant renchérit, en 1883[[Guy de  Maupassant]], ''En Bretagne'', article publié dans la "Nouvelle Revue" du {{date|1|janvier|1884}}</ref> : "''La plage de Penmarch fait peur. C'est bien ici que les naufrageurs devaient attirer les vaisseaux perdus, en attachant aux cornes d'une vache, dont la patte était entravée pour qu'elle boitât, la lanterne trompeuse qui simulait un autre navire.''"
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Cette légende a fait couler beaucoup d'encre, y compris parmi les intellectuels illustre. En 1832, Jules Michelet écrit ainsi : " ''Encore, si [les Bretons] attendaient toujours le naufrage, mais on assure qu'ils l'ont souvent préparé. Souvent, dit-on, une vache, promenant à ses cornes un fanal mouvant, a mené les vaisseaux sur les écueils<ref>[[Jules Michelet]], ''Tableau de la France'', paru dans "La Revue des deux Mondes", 1832</ref>.''" . Guy de Maupassant renchérit, en 1883<ref>[[Guy de  Maupassant]], ''En Bretagne'', article publié dans la "Nouvelle Revue" du {{date|1|janvier|1884}}</ref> : "''La plage de Penmarch fait peur. C'est bien ici que les naufrageurs devaient attirer les vaisseaux perdus, en attachant aux cornes d'une vache, dont la patte était entravée pour qu'elle boitât, la lanterne trompeuse qui simulait un autre navire.''"
  
Ces légendes sinistres, associées notamment aux côtes du Finistère Nord ou à Ouessant, ne semblent pourtant n'avoir aucune réalité tangible. Aucun document historique, de quelque nature qu'il soit, ne vient confirmer ces légendes. Ainsi, dans l'ensemble des compte-rendus et rapports de naufrages épluchés par les historiens, jamais un capitaine de navire ne dénonce la présence d'un feu découvert au loin pour expliquer la tragédie... Cette légende des naufrageurs bretons n'a donc aucun fondement historique.
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Ces légendes sinistres, associées notamment aux côtes du Finistère Nord, au Cap Sizun ou à Ouessant, ne semblent pourtant n'avoir aucune réalité tangible. Aucun document historique, de quelque nature qu'il soit, ne vient confirmer ces légendes. Ainsi, dans l'ensemble des compte-rendus et rapports de naufrages épluchés par les historiens, jamais un capitaine de navire ne dénonce la présence d'un feu découvert au loin pour expliquer la tragédie... Cette légende des naufrageurs bretons n'a donc aucun fondement historique.
  
 
== Naufrages et secours aux rescapés ==
 
== Naufrages et secours aux rescapés ==

Version du 29 juin 2016 à 23:40

La légende veut que les bretons vivant au bord des côtes provoquaient le naufrage de navires pour pouvoir les piller. Derrière le mythe se cache une réalité : le droit de bris était non seulement un fait social particulièrement ancré, mais également un élément essentiel pour l'économie de zones habitées particulièrement pauvres.


Les naufrageurs, une légende infondée

La légende rapport que, dans des temps reculés, il y avait en Bretagne des peuples terriblement cruels. Ils étaient si pauvres qu'ils allumaient, dit-on, des feux sur le sentier des douaniers pour tromper les navires, pour provoquer la perdition des bateaux qui voguaient au large. Lorsque ceux-ci coulaient, ils tuaient d'une mort atroce tous les éventuels survivants et rejetaient leurs cadavres à la mer pour mieux s'approprier leurs biens...

Cette légende a fait couler beaucoup d'encre, y compris parmi les intellectuels illustre. En 1832, Jules Michelet écrit ainsi : " Encore, si [les Bretons] attendaient toujours le naufrage, mais on assure qu'ils l'ont souvent préparé. Souvent, dit-on, une vache, promenant à ses cornes un fanal mouvant, a mené les vaisseaux sur les écueils[1]." . Guy de Maupassant renchérit, en 1883[2] : "La plage de Penmarch fait peur. C'est bien ici que les naufrageurs devaient attirer les vaisseaux perdus, en attachant aux cornes d'une vache, dont la patte était entravée pour qu'elle boitât, la lanterne trompeuse qui simulait un autre navire."

Ces légendes sinistres, associées notamment aux côtes du Finistère Nord, au Cap Sizun ou à Ouessant, ne semblent pourtant n'avoir aucune réalité tangible. Aucun document historique, de quelque nature qu'il soit, ne vient confirmer ces légendes. Ainsi, dans l'ensemble des compte-rendus et rapports de naufrages épluchés par les historiens, jamais un capitaine de navire ne dénonce la présence d'un feu découvert au loin pour expliquer la tragédie... Cette légende des naufrageurs bretons n'a donc aucun fondement historique.

Naufrages et secours aux rescapés

Pas de naufrageurs donc sur les côtes bretonnes. Mais cela n'empêche pas les naufrages d'avoir lieu. Les cotes du Finistère, et particulièrement le Cap Sizun, l'île d'Ouessant, et les côtes bordant l'entrée dans la Manche, ont connu leurs lots de catastrophes maritimes.

Il semble que dans la majorité des cas les terriens aient plutôt tenté de porter secours aux rescapés (on estime qu'un naufrage sur deux ne faisait aucune victime). Globalement, pas d'hostilité de la part des riverains. Moins d'un naufrage sur quatre donnait lieu à des tensions entre les survivants et les habitants, allant d'un simple petit accrochage sans gravité à des faits de grande violence : cela se produisait quand l'équipage cherchait à protéger sa marchandise, et à conserver ses effets personnels. Car sauvetage ne signifie pas absence de pillage : un tiers des cas où des secours ont été portés aux rescapés se sont poursuivis par une mise à sac de l'épave...

Le droit de bris

Il existe, en droit maritime, une règle appelé du "droit de bris", ou droit de lagan ("pensé", à Ouessant). En cas de naufrage, tous les débris appartiennent au seigneur propriétaire des cotes où ces débris se sont échoués - et, de fait, en France, les bris sont aujourd'hui censé appartenir à l'État...

En fait, ce droit de bris faisait l'objet de négociations, de marchandages ou d'entorses nombreuses. Ainsi, les moines de l'Abbaye Saint Mathieu avaient-ils le droit de bris en échange de l'entretien et du fonctionnement du phare. Mais dans la plupart des cas, les populations, qui vivaient dans des conditions misérables, ne respectaient pas ce privilège seigneurial. Et, à chaque naufrage, c'était des centaines, voire des milliers d'habitants, accourant de toutes les paroisses aux alentours, qui se précipitaient...

Tous participent, sans exception, qu'ils soient paysans, artisans ou commerçants, jeunes, vieux, femmes et enfants, y compris les prêtres et les bourgeois ou notables du coin... Le but est simple : récupérer le plus de marchandises possible avant que l'autorité seigneuriale, ou l'amirauté, ne parvienne sur le site. Tout y passait : les effets personnels de l'équipage, parfois arrachés des corps des rescapés (bijoux...), les cargaisons de vêtements, les vivres, les métaux précieux évidemment, l'ameublement des cabines, et tout le bois possible et imaginable (denrée rare sur Ouessant, par exemple). Pour ce qui est de l'alcool, la méthode était différente : fûts et tonneaux étaient immédiatement mis en perce et partagés entre tous les pilleurs d'épave. Ces regroupements tournaient régulièrement, voire quasi systématiquement, en énorme beuverie ! Plus d'un document rapporte que des villageois en sont morts d'avoir trop bu d'eau-de-vie d'un seul coup...

Des scènes particulièrement agitées donc, entrecoupées de cris, de bagarres, d'invectives, de chants et de rires... Pour ceux qui gardaient les idées suffisamment claires pour procéder au pillage, chaque élément était récupéré et mis de coté, en tas. Poser un galet sur un amoncèlement d'objets suffisait à signaler qu'ils appartenaient à quelqu'un, qui reviendrait les chercher plus tard... Ce code était particulièrement respecté : les autres habitants de la côte ne se seraient pas aventurés à enlever le galet du tas de son voisin pour s'approprier ses objets - ce vol aurait été sanctionné très sévèrement par la communauté villageoise.

Le pillage, moteur de l'économie locale

Au delà de ce côté anecdotique, ces naufrages étaient complètement intégrés dans l'économie locale. Il étaient en effet très loin d'être rares : sans instrument de navigation, sans phare côtiers, sans infrastructures adaptées sur les ports, la perte de navires proche des côtes était fréquente. Ainsi, entre 1700 et 1792, le trafic colonial nantais a subit pas moins de 232 naufrages, soit 3 par an, rien que pour ce secteur !

Le droit de bris stimule donc considérablement l'économie locale. D'abord, il apporte des ressources considérables, en nature (bois, vêtements... ) ou en produits commerciaux (denrées exotiques, métaux précieux...). D'autre part, il y avait tous les "à coté" : la venue des magistrats et personnels de l'amirauté qui dormaient à l'auberge la plus proche, les salaires des villageois réquisitionnés pour garder les débris à l'abri des pillards (gardes d'un jour qui devaient affronter une grande agressivité, voire la violence de leurs semblables), les tonneliers, charpentiers, menuisiers, etc. qui procédaient à des réparations, les marins qui louaient une embarcation et les paysans une charrette...

Un naufrage pouvait donc, au final, s'avérer être une véritable bénédiction pour des zones littorales qui vivaient le plus souvent dans une grande misère. Peut-être est-ce de là que vient la réputation de naufrages, peut-être est-ce une marque de mépris de la part de marins, ou d'administrateurs de l'amirauté, qui voyait un peuple vivre notamment grâce au pillage des naufrages réguliers qui se produisaient à proximité de leurs terres...

Pourtant, tout comme les habitants du littoral avaient le droit de ramasser le goémon pour en faire usage, la récupération de ce qui s 'échoue sur le littoral n'est rien de plus qu'une cueillette naturelle pour qui n'a pas grand chose... Et, malgré les efforts désespérés de la puissance publique, monarchie, Empire ou République, pour mettre fin à ce "privilège" des habitants de la côte, le phénomène persiste, et encore aujourd'hui lors des perte de conteneurs en mer, par exemple même si les proportions sont nettement moindres que ce qui pouvait exister il y a quelques siècles.


Notes et références

  1. Jules Michelet, Tableau de la France, paru dans "La Revue des deux Mondes", 1832
  2. Guy de Maupassant, En Bretagne, article publié dans la "Nouvelle Revue" du [[1er janvier |1Modèle:Er]] janvier 1884

Bibliographie

  • Alain Cabantous, Les Côtes barbares: Pilleurs d'épaves et sociétés littorales en France (1680-1830), Fayard, 1993, [ISBN 978-2-213-64731-9]
  • Boiteux, L.-A., La fortune de mer, le besoin de sécurité et les débuts de l’assurance maritime, Paris, S.E.P.V.E.N., 1968, Modèle:P..
  • Darsel, Joachim, « Les seigneuries maritimes en Bretagne », Bulletin philologique et historique (jusqu’en 1610), Paris, 1966, vol. 1, Modèle:P.
  • Moal, Laurence, « À propos du droit de bris, un exemple de solidarité anglo-bretonne ? (Morlaix, 1501) », Bulletin de la Société archéologique du Finistère, t. 134, 2005, Modèle:P..
  • Pasquiou, Yves, Du droit d’épave, bris et naufrage, Paris, Libr. Arthur Rousseau éd., 1896.
  • Planiol, Marcel, Histoire des institutions de la Bretagne, Rennes, nouvelle édition par Bréjon de Lavergnée, Mayenne, 1981- 1982, t. IV, Modèle:P..
  • Planiol, Marcel, La très Ancienne Coutume de Bretagne, 1896, Paris, Genève, rééd. Slatkine, 1984, Modèle:P..
  • Pocquet du Haut-Jussé, Barthélémy-A., « L’origine des brefs de sauveté », Annales de Bretagne, t. LXVI, 1959, Modèle:P..
  • Touchard, Henri, « Les brefs de Bretagne », Revue d’histoire économique et sociale, t. XXXIV, 1956, Modèle:P..
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