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Les américains arrivent au port de Co’


A partir de 1865, un décret impérial concrétise la création du port de Co’ dans l’anse de Porstrein, autrefois dépendance de la commune de Lambezellec : Port Napoléon se construit sur un vaste polder de plusieurs dizaines d’hectares de remblais.

Ce nouveau quartier brestois remplace le village de pêcheurs de Porstrein, accroché à sa falaise. On y trouve un abattoir, une tannerie, des fours à chaux, l’usine à gaz et le casino voisin, une centrale électrique près du groupe scolaire de la rue de Madagascar, et au niveau de l’actuel parc à chaînes, le terminus des trains de marchandises. Plusieurs bateaux assurent le transport régulier de voyageurs vers les presqu’îles voisines et une liaison bi-hebdomadaire vers l’Angleterre. En 1913, la forme de radoub est mise en service.

La guerre éclate en 1914 et l’activité économique pâtit du blocus exercé par les sous-marins allemands. Après avoir été réélu en 1916, le président Wilson, sollicité par les alliés exsangues, signe l’entrée en guerre des Etats-Unis le 6 avril 1917 ; l’Amérique n’a pas de conscription ni d’industrie d’armement. Il lui faut donc lever une armée ; des accords sont passés avec la France qui assure la fourniture des équipements militaires lourds grâce à son avance industrielle, et la formation des conscrits dans ses casernes, avant l’envoi des troupes au front. En échange, les convois américains apportent les biens manufacturés et les infrastructures nécessaires au bien-être de leurs troupes : pour un américain débarqué, une tonne de matériel est livrée en France ! Le 26 juin 1917, le premier convoi du Corps Expéditionnaire américain débarque 14 750 conscrits à St Nazaire. La presse brestoise se fait l’écho de la richesse de l’industrie manufacturière américaine et de ses ressources infinies.

Mais les infrastructures du port de Brest sont insuffisantes pour recevoir l’importante logistique nécessaire aux millions de soldats américains dont l’engagement en Europe est programmé. Des travaux préparatoires au débarquement débutent en septembre 1917.

Le site de Brest est choisi pour ses qualités géographiques, militaires et ferroviaires, et sa relative proximité avec l’Amérique.. La rade offre un plan d’eau idéal aux opérations de transports de troupes : grande profondeur, accès quelque soit le coefficient de marée, protection des vents dominants. Brest devient le Quartier Général de l’US Navy et donc la principale porte d’entrée des troupes américaines en Europe. C’est aussi le lieu de formation militaire des Sammies, celui du déploiement des destroyers, de l’entretien et de la réparation des navires. La création de bases d’hydravions à Camaret et à l’île Terch en Plouguerneau permet d’assurer la protection des convois du Corps Expéditionnaire Américain en bombardant les U-boots (déjà la guerre sous-marine !)

Le 12 novembre 1917, le premier débarquement de 12500 Doughnuts a lieu à Brest, sous les regards curieux et enthousiastes des habitants : ils portent de larges chapeaux de feutre, des ceintures à poches multiples sur des uniformes peu adaptés en drap olive, avec des boutons de cuivre aplatis comme des beignets “doughnut”. Ils distribuent chocolat, cigarettes, monnaie. sont rejoints par une centaine de “marines” venus de St Nazaire dans leurs propres camions et chargés d’établir la tête de pont des transatlantiques à Brest ainsi que d’organiser l’accueil et la formation des recrues. Les soldats sont répartis en casernes et camps pour effectuer ou parfaire leurs classes en quelques semaines, avant leur acheminement par train ou camions vers le front ; ils combattront sous régiment et autorité américaine, constituant un corps d’armée autonome.

Entre mai et décembre 1918, le port accueille ainsi huit escales du Leviathan, le plus grand paquebot au monde (ex Vaterland) reconverti pour le transport de 14?000?hommes, et camouflé sous des peintures “razzle-dazzle”*. À lui seul, il acheminera 110?591?soldats sur un total de près de 800?000 débarqués à Brest ! Autre record : le 14 juillet 1918, entre 6h et 16h30, 33 500 hommes débarquent d’un convoi de 13 navires !

La voirie, les quais et le port se développent : il s’y construit des parcs de véhicules, des bâtiments de stockage, une usine à charbon et des stations de pompage d’eau douce pour le ravitaillement des navires. Une forêt de grues transborde dans de grands filets, caisses de vivres, conserves et matériels domestiques, machines outils pour les ateliers de réparation de l’arsenal, matériel de transport (camions, hydravions en kit, mais aussi rails et locomotives*) ou de construction (baraques, tentes, hangars, macadam).

La caserne de Pontanézen se transforme en une ville surnommée Ponty et capable d’accueillir jusqu’à 90 000 habitants. Elle est reliée au port par une nouvelle voie de chemin de fer. Le terminus des trains, situé près du casino, est un nœud ferroviaire de 5 voies, pouvant accueillir des trains de 40 wagons transportant les troupes vers le front. Malgré cela, l’insuffisance de convois (4 quotidiens au lieu des 8 demandés) contraint les troupes à stationner plus longtemps à Ponty.

La présence d’une telle quantité de soldats dope l’activité économique de la ville, et les habitants découvrent, outre le jazz, le basket, le volley et le base-ball, le chewing gum et les conserves, la mécanisation, l’opulence sans limites.

Le Brestois se frotte à la rusticité des Sammies… le contraste est fort entre l’éducation et la pauvreté de la population locale, saignée à blanc par trois ans de guerre et la richesse des américains, dont l’industrie manufacturée ne demande qu’à inonder le marché européen ; leurs ressources semblent illimitées et la solde du simple Doughnut est déjà supérieure à celle de l’officier autochtone ! Les soldats américains sont eux aussi perplexes devant ce choc des cultures. Ecoutons le guerrier sioux Cœur de Loup :

La foule des curieux grossissait alors que le « Président Roosevelt » tiré par deux remorqueurs, se rapprochait du quai. Elle composait un vivant bouquet de couleurs vives. Un homme couvert de galons se cramponnait à la coupée… treize ans plus tôt, il avait conduit le cirque de Buffalo Bill en Europe.

Les « boys » débarquèrent en ordre sous une tempête d’acclamations. La plupart durent cependant s’asseoir sur le quai avant de s’aligner, tant la tête leur tournait. Les femmes jetaient des fleurs, les enfants offraient des bols de café. Un groupe de prisonniers allemands affectés au déchargement regardait avec consternation ces hommes jeunes et sportifs sortir des flancs d’un bateau qu’aucun sous-marin du Kayser n’avait été capable d’envoyer au fond.

Cœur de Loup remonta la rampe du port. Chargé de son barda, il suivit la colonne en aspirant par le nez, bouche fermée, l’air marin auquel se mêlaient des effluves de pétrole… son institutrice lui avait donné un dictionnaire de français contre la promesse d’apprendre chaque jour un mot ou deux. A présent il en connaissait des centaines : l’envie de vérifier leurs pouvoirs le tenaillait.

« Bonjour monsieur, bonjour madame, c’est une belle journée n’est-ce pas ? Comment allez-vous ? »

Sachant que les Français, comme tous les blancs, voulaient voir des Indiens empreints de dignité, il conserva un air fier et hautain, même si le roulis du bateau faisait vibrer ses muscles et tourner son esprit. Le grand César n’aurait pas débarqué plus dignement sur le sol breton !

Agglutinés de chaque côté de la rue, les Wasichas criaient des paroles qu’à son grand désespoir, il ne comprenait pas. Une jeune femme coiffée d’une étrange toque blanche, l’examina un instant, l’air mi-effrayé, mi-rieur. Elle tenait par la main un enfant qui le fixa à son tour, la bouche ouverte. Le petit homme lui tendit une fleur jaune, une minuscule cloche d’or au bout d’une tige.

Cœur de Loup voulut saluer la femme, lui dire dans sa langue combien il serait heureux de tuer quantité de Huns pour elle et pour son fils. Le temps qu’il trouve les mots, elle avait disparu. Il accrocha la fleur à sa boutonnière. Sur ses épaules et dans son cœur pesait la fatigue de la traversée.

14 000 indiens ont débarqué en Bretagne porteurs de l'uniforme des Sammies. Cet enrôlement volontaire leur assurait de devenir des citoyens américains à part entière.

Brest sera le port de réembarquement des Américains à l’issue du conflit ; le dernier transport de troupe appareillera le 1er janvier 1920 ; au total plus de 800 00 soldats et 275 000 tonnes de matériel ont débarqué à Brest et 1 200 000 Sammies sont repartis vers leur patrie. Pendant des dizaines d’années, des ventes aux enchères de stocks et surplus américains locaux se tiendront dans la cité du Ponant !

Le projet américain de développement du port de Co’ sera interrompu par la signature de l’armistice : seuls les travaux en cours seront achevés jusqu’en février 1919. Le projet restera cependant longtemps d’actualité puisqu’il préfigurait un grand port transatlantique avec le développement d’activités industrielles en place du polder sud du Moulin Blanc !

Texte : Grand cœur sauvage p28-p30 de Jacques Rouzet (éditions SW Télémaque 2008)

                                                               Place de la Liberté.JPG       Portail du quartier de Brest-Centre                                                                            
                                                               Embleme ponta.png       Portail du Pontanezen Duckboard                                                                            
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