Domaines
Communes
Quartiers de Brest
Espaces de noms

Variantes
Actions
De Wiki-Brest
Révision datée du 11 février 2010 à 16:55 par Gaellebot (discussion | contributions) (Robot : Remplacement de texte automatisé (-Wiki-journée mars-avril 2009 +Wiki-journée mémoire))

Bagne de Brest

Le bagne de Brest ou la « prison-machine »

Corriger les corps et les esprits

Le cuirassé Danton avec en arrière plan le bagne de Brest

A la fin du XVIIIe siècle se met en place ce que Michel Foucault a appelé la « prison-machine »[1] dont la vocation consiste d'une part à priver les individus délinquants de leur liberté, d'autre part à les corriger c'est-à-dire à exercer sur leurs corps et leurs esprits un ensemble de dispositifs destinés à normaliser leurs comportements. Le bagne de Brest, construit par l'ingénieur Choquet de Lindu en 1750 et 1751 est emblématique de cette évolution de la justice carcérale. Dans un texte manuscrit conservé à la Bibliothèque municipale de Brest, Choquet de Lindu insiste sur la particularité de l'édifice construit à Brest qui est « presque le seul bâtiment qui ait été élevé dans la vue directe de renfermer les malheureux avec une dépense et une somptuosité au-dessus de tout ce qui a été fait en ce genre »[2]. Au lieu de réaffecter des locaux inutilisés - manufactures, corderies ou magasins - à la réclusion des condamnés, Choquet choisit donc de construire un bagne ex-nihilo, dont l'architecture fût expressément dictée par les objectifs assignés à ce type de résidence, à savoir « maintenir aisément la Police, éviter l'évasion [des détenus], et leur fournir les besoins indispensables à la vie ».

Une forme panoptique

Il fallait par conséquent que la forme même du bâtiment permît d'une part de surveiller, d'autre part de priver de liberté, enfin de garantir l'existence physique des individus. Trois piliers pour ainsi dire, de l'univers carcéral, qui se traduisirent par une configuration spécifique. Le bagne de Brest se caractérisait en effet par sa forme « panoptique », les postes de garde étant situés au centre de l'édifice de façon à permettre une surveillance globale. D'autre part, l'ensemble était ceint d'un mur infranchissable et les circulations conçues de manière à cloisonner rapidement les espaces en cas de sédition. Enfin, un effort tout particulier fut fait en matière de salubrité : de nombreuses latrines et fontaines, alimentées par un réseau complexe de canalisations provenant d'une citerne construite en amont, furent aménagées aussi bien dans les dortoirs que dans la cour intérieure. Ces « bains » - origine du mot « bagne » - étaient complétés par un système sommaire d'aération, l'ensemble devant permettre d'améliorer les conditions sanitaires et de limiter ce faisant le risque d'épidémies.

C'est dans ce lieu qu'était expérimentée, pour reprendre l'expression de Foucault, la « technologie corrective de l'individu ». Voleurs et assassins y étaient contraints à une discipline totale. Une manille au pied, les bagnards étaient enchaînés deux par deux, affublés d'un costume - bonnet rouge pour les condamnés « à temps » c'est-à-dire à durée déterminée, bonnet vert pour les condamnés à perpétuité - et soumis aux travaux forcés consistant, la plupart du temps à effectuer les tâches les plus pénibles, telles que l'aménagement du port et le creusement des formes de radoub. Aussi considérait-on que le travail participait de la « réhabilitation » des individus « déviants » que la société se devait de remettre dans le droit chemin en les intégrant dans un appareil destiné à les rendre dociles et utiles. Une réhabilitation qui passait également par la discipline religieuse, comme l'atteste « l'autel sur roulettes » prévu par Choquet et « que l'on transporte au pied de l'escalier pour venir à l'enfilade des salles et y dire la messe (...), les forçats ne bougeant point de leurs bancs ».

Forçat à perpétuité, forçat à temps, garde-chiourme

Un tourisme carcéral

Pour autant, l'univers du bagne était ouvert sur l'extérieur. D'une part, on l'a dit, en raison des travaux que les forçats étaient contraints d'accomplir sur les rives de la Penfeld ; d'autre part en raison des activités commerciales qui avaient lieu dans la cour intérieure de l'édifice, où les bagnards, disposant d'un privilège du roi, pouvaient à loisir vendre leur production artisanale dans des baraques adossées au mur d'enceinte. Si bien que le bagne fit l'objet d'un « tourisme carcéral », comme en témoigne un manuscrit anonyme de 1842 intitulé Excursion en Bretagne[3]. Deux jeunes gens d'une vingtaine d'années, de passage à Brest, poussent les portes de l'établissement pénitencier et y décrivent la vie des condamnés qui, lorsque le temps leur est offert, « se livrent au travail et confectionnent des petits ouvrages pleins de goût et qu'ils vendent bon prix aux curieux qui viennent les visiter ». Les bagnards étaient donc bel et bien visibles, et jouaient à ce titre un rôle social en suscitant tantôt l'indignation, tantôt la compassion des spectateurs, à l'instar de nos deux voyageurs qui, semblant s'y connaître en matière de frustration, s'émeuvent du fait que « la possession d'une femme leur [soit] interdite »... Sans doute était-ce là un moindre mal.

Nicolas Tocquer (extrait du "Patrimoines Brestois, N°6")


Télécharger le "Patrimoine Brestois N°6" en version PDF


  1. Michel Foucault, "Surveiller et punir", Paris : Gallimard, 1975
  2. Choquet de Lindu, Description du Bagne. Édifice bâti pour logement de galériens ou forçats dans l'Arsenal de marine à Brest
  3. Excursion en Bretagne, 1842, BMB, MS183
Outils personnels