8 mars : "Africaine", Nicole Auffret

Lettre à Elles

Dans le cadre de la manifestation "La Rive Droite fait son 8 mars", mercredi 8 mars, de 16h30 à 17H40, aux Ateliers des Capucins, plusieurs centaines de personnes ont pu apprécier le spectacle « Lettre à Elles (les Elles du piano) »

Africaine

Lorsque la nuit est rose ou noire, ou bien en prose tu sens monter en toi les percussions d’un sanglot long, tu tapes sur l’ivoire des sons pour étouffer les harmonies de tes insomnies.

Ta peau claire-obscure se souvient de ce pays qui t’a vue naître et qu’un jour tu as quitté en emportant pour tout bagage le souvenir embaumé des alizés de ton village et le parfum des roses de ton désert.

Tu serres les poings sur les épines sans fleur que tu cueilles sur le goudron noir des trottoirs de ton nouveau quartier.

Indifférente à la différence tu appelles ton âme à rejoindre ton nouveau pays, là où la vie t’a déposée sans avoir pris ton avis Tu étais censée trouver la fraternité, l’égalité, mais ’ici tu es larguée.

Aujourd’hui, dans la profusion des décibels de ta cité,tu entends raisonner l’absurdité et dans le vertige d’un néon qui t’éblouit tu rassembles les parts de ton passé pour ne pas qu’elles s’égarent sur le quai d’une gare où passera un train pour nulle part.

Lorsque tu croises des gens comme moi tu crains la résiliation de toi et tu te fais néante pour mieux te protéger. Tu redoutes l’enracinement défertilisant, sur ce continent où ne résonne plus la caresse des mots d’avant.

Sur cette terre dont tu n’es pas l’enfant, tu laisses, voler ton âme à la force des vents et ton coeur flotter dans ton passé d’Orient. Tu regardes dans la boue des tabous la géographie de ta vie se déliter comme un coran usé.

Entre le khôl de tes paupières, s’échappent en diamants d’arc-en-ciel une larme encore gorgée de soleil,

Tes yeux fouillent le néant du présent en espérant voir apparaître les mosaïques et les fresques des mosquées d’avant Les valeurs qui avaient dominé ton enfance n’ont pas cours dans ce pays où tu ne peux t’évader que par la pensée.

Ta famille a choisi le pays de la liberté et de l’égalité dans lequel seul l’oiseau ne connait ni le désarroi ni la solitude.

Lorsque tu regardes le ciel où tu les vois voler tu penses qu’il te manque seulement des ailes pour tracer le chemin de ta pensée qui cherche sa place dans un territoire cerné.

Soudain ton coeur se met à hurler. «Debout les éveillés ! dehors les doctrinaires ! alchimistes de l’impossible qui choisissent la désespérance pour cible et donnent de l’ espoir aux chimères. »

Les mots ça endort quelques fois ça tue, il faut savoir les écouter pour entendre entre chaque ligne le thème du sur- développé. L’heure est venue des mots nouveaux que l’on met sur les pages d’indéchiffrables enquêtes sur la vérité.

Aujourd’hui je te rejoins au nom d’une fausse liberté. Comment rompre son pain équitablement à la table de son prochain ou avec son voisin de table sans de nouveaux moyens démocratiquement meilleurs ?

Tu crois que je suis amère ? peut - être simplement réaliste ?

Aujourd’hui tu dois vivre pour la mémoire dans l’écho des silences et dépasser ton enfance pour assurer ta survivance

Devant l’indifférence différemment partagée tu fais pour le mieux, en évitant le pire, tu essaies d’être en devenir afin de naître un peu chaque jour.

Fais la grève de la douleur pour ne pas oublier que ton réel pays est celui qui vit dans ton esprit. Dans l’hypothèse où tu cherches la prothèse protégeant au mieux ta mémoire tu as déjà ton passeport naturel Alors saches que n’importe où tu iras tu seras chez toi puisque tu seras « TOI »

Nicole AUFFRET février 2017