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6è Chapiteau d'hiver du Relecq-Kerhuon

Affiche de l'événement

La sixième édition du Chapiteau d’hiver du Relecq-Kerhuon s’est tenue du 12 au 28 mars 2016 ; cette année, la commune a fait appel au Théâtre des Arts Vivants (TAV) et non plus à la Compagnie Galapiat.

Né de la rencontre entre le metteur en scène Samuel, son frère éclairagiste Cristobal et l’architecte Haroun, le TAV a vocation à renouveler la tradition ancestrale des spectacles itinérants qui remonte à l’Antiquité : pour ce faire, il dispose d’un chapiteau rond à l’intérieur noir, le Stalker, et d’un barnum rectangulaire dans la tradition foraine d’avant-guerre, le Bal monté.

Ces deux structures ont donc occupé pendant dix-sept jours le site de Camfrout, accueillant une programmation « éclectique, pluridisciplinaire, intergénérationnelle et exigeante » que Samuel lui-même définit comme un « méli-mélo » destiné à « croiser les différentes pratiques artistiques sans les hiérarchiser » et à faire tomber la cloison artificielle entre divertissement et exigence artistique.

Le programme implique aussi « au maximum les acteurs locaux » pour rendre au spectacle en général et au théâtre en particulier sa vocation première de lieu de rencontre et d’échange : cette conception s’accorde avec les desiderata de la municipalité qui, malgré le changement de partenaire, garde les mêmes finalités, à savoir, comme le dit Isabelle Mazelin, adjointe au maire en charge de la culture, « inscrire sur le territoire une date qui rassemble la population, les artistes, les associations et permet des rencontres ».

Le Stalker du TAV
Conférence de presse de présentation de l'événement à Pen an Toul


SAMEDI 12 MARS

11h : Monument 1

Le collectif Protocole

C’est par un temps splendide que le collectif Protocole a ouvert le bal sur le site de Pen an Toul, qui surplombe la grève, avec le pont de Plougastel à l’arrière-plan. Un cadre idyllique pour un numéro atypique, résultat inachevé (mais on ne le devinerait pas à le voir) d’une résidence artistique à laquelle quelques habitants de la commune du Relecq-Kerhuon ont été conviés à participer par les cinq jongleurs chez qui la recherche de nouveauté ne cède rien à l’exigence artistique : si les artistes de Protocole, loin de l’image bariolée et clinquante à laquelle le jonglage est fréquemment lié, se produisent vêtus de costumes sobres au son d’une guitare électrique, ils n’en manifestent pas moins une extrême habileté au maniement des massues et associent à cette pratique millénaire la danse, la comédie et la pantomime, donnant lieu à des prestations aussi drolatiques qu’impressionnantes. Jouer en extérieur s’impose assez naturellement pour ce spectacle qui nécessite un espace assez vaste pour permettre aux exécutants de se déplacer en long, en large et en travers, invitant éventuellement le public à se déplacer pour ne rien rater (tant pis pour ceux qui sont chargés !) : donnant apparemment libre cours à leur fantaisie (mais obéissant probablement, en réalité, à un plan rigoureux), les jongleurs ont même profité de la proximité de la grève pour descendre sur les galets et y récolter quelques algues devenues, pour l’occasion, de nouveaux instruments de jonglage. En somme, les artistes de Protocole a su s’approprier pleinement les potentialités du site qui a été mis à leur disposition et manifester ainsi leur parfaite maîtrise non seulement de leur art mais aussi de la notion d’espace et de son rapport au corps, allant même jusqu’à corser le jeu en faisant jouer aux résidants du Relecq-Kerhuon des personnages hippocéphales (à tête de cheval) venus les harceler voire même les agresser jusqu’à les faire « tomber » sur la grève dans un final tragicomique qui n’est pas sans évoquer une version volontairement bouffonne du film 300 !

11h : Kig Ha Fanfarz

La fanfare Zébaliz

Ceux à qui le jonglage ne disait rien pouvaient toujours rester aux abords du chapiteau et ainsi profiter d’une journée d’ouverture très animée avec notamment le battle de cuisiniers à l’issue duquel a été récompensé le meilleur kig ha farz ; les résultats ont été annoncé par l’exubérant Gérard Godard dont les commentaires, volontiers farfelus, ont amusé les uns mais aussi agacé les autres, notamment la fanfare Savato qui fut à deux doigts de désespérer qu’il les laisse jouer ! Ce petit incident diplomatique n’a nullement perturbé l’ambiance bon enfant de cette journée ensoleillée où les familles en week-end ont pu savourer des crêpes et profiter des jeux bretons aux sons des fanfares (Zébaliz, notamment, fut fidèle au poste) et d’Espèce de Chorale qui chante dans presque toutes les langues – on compte même dans son répertoire le chant des femmes kurdes qui se battent contre l’État Islamique, offrant au public finistérien un bel exemple de multiculturalisme et d’ouverture sur le monde en ces temps de repli sur soi.

DIMANCHE 12 MARS

14h : Manipulation

La compagnie Double-Mètre et Contre-Mètre

Les Auvergnats de la compagnie Double-Mètre et Contre-Mètre approchent la pantomime d’une manière qui rappelle davantage l’expressionnisme allemand et le slapstick américain que le Mime Marceau. Comme son titre l’indique, ce relativement bref spectacle (une demi-heure) interroge la notion de manipulation dans tous les sens du terme, c’est-à-dire, au sens figuré, la manipulation dont peut se sentir victime, venant des médias, l’homme moderne et, au sens propre, la manipulation d’un pantin par un marionnettiste ; les duettistes vont d’ailleurs jusqu’au bout du parallélisme qui peut être établi puisque, dans les deux cas, le manipulé finit par se révolter, offrant une variation burlesque du mythe de Pygmalion voire de Frankenstein. Ce pourrait être grave, mais les mimiques et les gestuelles outrées de Christophe Goutte et Bruno Givelet, qui contrastent violemment avec le musique de fond, solennelle voire même religieuse de temps à autre, assurent un effet comique certain. Le public ne s’y est d’ailleurs pas trompé et est venu nombreux, sous le chapiteau, assister à la prestation des mimes auvergnats, pour la plus grande satisfaction de ces derniers qui ont loué l’hospitalité et le climat breton. Le spectacle suivant, proposé par la même compagnie, a d’ailleurs fait salle comble, signe d’un impact évident auprès du public.

15 h : Monument 2

Nouvelle prestation du collectif Protocole, aux abords du chapiteau, pour un spectacle, cette fois, bel et bien achevé. Pas de harceleurs hippocéphales, mais les jongleurs ne jouent pas au rabais et réussissent une nouvelle fois cette subtile alliance de jonglage, de mime, de comédie et de musique grâce à laquelle un spectacle exigeant et mûrement réfléchi parvient à rester grand public et à ravir petits et grands : du vrai spectacle populaire de qualité, en somme.

17 h : Quartier libre

Le Bal monté du TAV (intérieur)

Renouer avec la vieille tradition du bal monté n’allait pas forcément de soi : il s’avère, à l’usage, que ce parti pris était parfaitement judicieux. D’une part, bien que nomade, cette structure suffit à mettre le public à l’abri du froid qui, à la fin de l’hiver, gagne inévitablement du terrain quand le soir tombe, surtout à deux pas de la mer ; d’autre part, elle assure aussi une acoustique exceptionnelle, meilleure que dans certaines salles de spectacle en dur, dont purent bénéficier ce soir quelques artistes qui ont vu leur talent mis pleinement en valeur dans ce que l’on pourrait qualifier de « cabaret ambulant » avec le confort et les potentialités immenses que cela comporte.

La chorale Tart’à Gueules

La soirée a débuté avec la chorale féminine Tart’à Gueules. Le jeu de scène et les tenues des choristes, où le rouge et les pois dominent, laissent croire dans un premier temps à des jeunes filles un peu naïves qui aiment à glousser par paquet de dix, mais leurs sourires et leurs regards malicieux ne trompent pas le public : elles ne font que reprendre à leur compte les stéréotypes liés à la féminité pour mieux en faire sentir la vacuité et ainsi revendiquer leur légitimité intellectuelle. De fait, si elles ne revendiquent pas la paternité (ou plutôt la maternité) de leurs chansons, elles n’en font pas moins du chant leur arme contre l’intolérable, luttant contre la spoliation des terres agricoles, la télévision racoleuse et le capitalisme en général – on compte même dans leur répertoire un magnifique hommage à Stéphane Hessel : elles s’inscrivent ainsi dans une longue tradition de la chanson française engagée qui remonte au moins à Aristide Bruant.

Slamity Jane (Claire Morin) vue par Blequin

Vint ensuite le Slamical Groupe, représenté dignement par sa directrice-fondatrice Claire Morin alias Slamity Jane, véritable petit diable urbain au timbre sautillant et pétillant dont la personnalité de franc-tireur ne dément pas le nom de scène : opposant à la dure folie du monde la douce folie du verbe, elle décoche des mots biens sentis qui font mouche. Le jeune auteur-compositeur Harold Kiefer (par ailleurs membre du groupe Hobaya) lui succéda sur scène avec des sonorités plus proches du rap, faisant ainsi une transition bienvenue avec les artistes qui ont suivi, à savoir le jeune rappeur Rudy Moreul, dit Res’KP, qui reste fidèle à son univers poétique et à sa générosité coutumière (il a en effet offert au public la primeur d’une nouveauté) puis les rappeurs de La Mama Records dont le quasi-vétéran Samir L’Émir.

MERCREDI 16 MARS

15 h : 24 heures plus tôt

24 heures plus tôt

Commencer un récit par la fin pour ensuite raconter comment les personnages en sont arrivés là, voilà quelque chose qui se fait couramment en littérature et au cinéma mais qui est bien plus rare dans le cadre du spectacle vivant, à plus forte raison quand il s’agit d’un spectacle de magie ! Voilà qui en dit déjà long sur la folie débridée qui préside à la création de 24 heures plus tôt. En fait, Garcimore et Éric Antoine passent pour de médiocres bateleurs en comparaison des joyeux farceurs de la compagnie ardéchoise Aristobulle. En effet, Laurent, Renaud et Françoise vont infiniment plus loin dans le recours à l’humour pour mettre en scène la magie, inscrivant la prestidigitation dans le cadre d’une véritable petite comédie endiablée rappelant les cartoons américains, à la limite du surréalisme. L’attachement passionnel d’un des protagonistes pour le poisson Denise rappelle irrésistiblement Un poisson nommé Wanda bien que les artistes se défendent de s’être inspirés du film ; pourtant, la tenson interne à la mise en scène pourrait donner lieu à un vrai long-métrage comique avec l’argument suivant : Patrick le magicien a des rêves de grandeur et cherche, pour les concrétiser, à exploiter les dons surnaturels de son complice Robert ; malheureusement, celui-ci, complètement déconnecté de la réalité, est quasiment ingérable est n’est jamais là où on l’attend. Les nombreux quiproquos qu’entraîne cet inépuisable conflit nous renvoient à la nature de la prestidigitation, qui est par définition l’art de détourner l’attention du public, un mérite qui paraît cependant bien ténu en comparaison de l’hilarité maximale que suscitent, chez petits et grands, ces crétins de génie.

20 h : Contes du pays Bigouden

Michel Lidou face au public

Tous les contes et légendes qui sont partie intégrante du patrimoine de le Bretagne, et dont les Bretons sont si fiers, sont avant tout de tradition orale : s’ils ont pu se perpétuer de génération en génération, c’est grâce à ceux qui les rapportaient lors des veillées de jadis au coin du feu, en ces temps où la télévision n’était là pour imposer une hégémonie culturelle. Une tradition révolue ? Pas complètement : Michel Lidou la perpétue à sa façon. En bon conteur, il ne s’appuie pas sur des notes, laissant ainsi ses histoires libres de connaître des altérations au fil du temps, au gré non seulement de sa fantaisie mais aussi de celle du public, chaque spectateur devenant ainsi un relais de ces histoires appelées dès leur origine à être vagabondes et, à ce titre, évolutives. Sur le fond, le merveilleux, au sens où on l’entend ordinairement, est plutôt absent des contes rapportés par Michel Lidou : il n’y a pas d’événement surnaturel à proprement parler ou alors uniquement dans l’imagination de certains protagonistes qui les inventent pour se tirer d’une situation délicate ; il n’y pas non plus, en tout cas pas systématiquement, de morale à ces histoires qui participent de la mémoire d’une région rude où, face aux aléas de la vie et aux caprices du climat, le plus malin avait plus de chances de s’en tirer que celui qui était obsédé par le bon droit, ce qui n’est sans rappeler Le chat botté de Perrault. La prestation de Michel Lidou fut suivie, pour rester dans la veine celtique, par un concert du groupe Skellig particulièrement bienvenu en cette veille de Saint-Patrick.


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