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Vivre ensemble, égaux et différents

«Vivre ensemble, égaux et différents » Citation d'Alain Touraine.

Anne-Marie Kervern, élue de l'Union démocratique bretonne, adjointe au maire de Brest, est chargée de l' « Insertion par le dialogue des cultures». La revue HOPALA ! s'est intéressée à cette délégation et a voulu en savoir plus. Guidée par nos questions initiales, Anne-Marie Kervern nous précise ici son projet.

Le projet

L'insertion, c'est le résultat à atteindre: il s'agit de faire en sorte que chacun développe des échanges satisfaisants avec son environnement. Le dialogue des cultures, c'est le cadre de travail : la réponse politique au fait de la diversité culturelle. Cette réponse politique s'exprime par une volonté : volonté de mettre en interaction des individus ou des groupes appartenant à des systèmes hétérogènes. Volonté d'articuler positivement différences et ressemblances, entre les personnes ou entre les composantes de la société qui partagent une même communauté de destin.

Une délégation nouvelle dans la municipalité de Brest

C'est une prise de conscience globale : une mondialisation que l'on veut plus équitable dans ses échanges humains, politiques, économiques, culturels, une pression de la mobilité et des migrations qui rend les sociétés de plus en plus multiculturelles, une tradition française assimilatrice en échec face aux nouvelles aspirations à la reconnaissance des différences (langues et cultures régionales, langues et cultures immigrées présentes sur le territoire), la conviction que nous devons apprendre à vivre avec et dans la diversité.

La municipalité de Brest n'est pas la première en Europe à créer cette délégation: la municipalité de Francfort l'avait déjà confiée à un certain Daniel Cohn-Bendit... Rennes, Nantes, Paris, Lyon cherchent à valoriser leur diversité et en prennent les moyens, mais la France est à la traîne dans ce domaine. Nos partenaires européens, qui ne souffrent pas comme nous d'un excès de centralisme, sont globalement beaucoup plus ouverts et ont pris cette question très au sérieux depuis que l'UNESCO en a fait l'une de ses priorités.

Brest est une ville intéressante pour ce type de projet: c'est une cité portuaire dont l'histoire maritime est riche de grands voyageurs et d'aventures de découvertes scientifiques à travers toutes les mers du globe; elle a une tradition de jumelages et de solidarité internationale, des réseaux associatifs denses et aptes à la médiation, une culture bretonne ouverte aux métissages, aux pratiques intergénérationnelles... L'Université, les grandes écoles, les instituts de recherche sont des lieux qui vivent la dimension internationale depuis longtemps : on parle environ 35 langues sur le campus de Télécom Bretagne, il y a près d'une centaine de nationalités à l'UBO... et la cohésion sociale tient encore le coup, grâce à la densité des réseaux associatifs. Et puis Brest est une ville qui doit développer son attractivité : valoriser sa diversité culturelle doit contribuer à son rayonnement international et à sa qualité de vie.

Des valeurs de référence et des principes d'action

Liberté, égalité, fraternité.., diversité. Cela devrait aller de soi, mais ça va mieux en le disant. La diversité est une richesse pour tous, à partager par tous... Toute question sur l'identité renvoie à l'altérité, à la valeur d'échange fondée sur la différence... Les identités, si on ne veut pas qu'elles deviennent « meurtrières » (Amin Maalouf), doivent être vécues comme des constructions dynamiques et ne laisser aucune place au déterminisme.

Des dangers à éviter, des limites, des contraintes

On ne peut pas se lancer dans l'action sans une conscience nette de l'espace dans lequel on veut travailler. Il y a deux écueils que je veux éviter : le cosmopolitisme abstrait et l'obsession de la différence. Je suis aussi très vigilante sur la confusion possible entre attention à la spécificité et traitement inégalitaire, entre re-connaissance (naître ensemble) et développement séparé des groupes... Le dialogue des cultures ne peut s'accommoder d'ethnocentrisme, de paternalisme, de goût de l'exotisme. Une façon de s'en prémunir est d'avoir toujours en tête que les cultures sont le résultat d'une permanente fécondation mutuelle.

Reconnaissance, particulier, universel : une confrontation permanente

Il y a quelque chose de nouveau et même de provoquant dans cette notion de re-connaissance... Jusqu'à présent en France, on a, en effet, toujours assimilé la politique de la reconnaissance à une politique communautariste. On s'en tient donc à l'écart. Je crois qu'aucune population ne peut se réduire à sa seule dimension culturelle, comme si les clivages sociaux n'existaient pas. Cependant, dans sa volonté, toute républicaine, de se tenir à distance de la différence, l'école la stigmatise. Ignorer ou discréditer les appartenances culturelles, c'est prendre le risque de renforcer les sentiments éprouvés de rejet et de mépris.

C'est par le particulier qu'on accède à l'universel, je ne l'apprends pas à une revue qui en fit l'une des bases de sa ligne éditoriale! En revanche, c'est tous les jours que je détecte l'inverse dans les propos ou les comportements de mes interlocuteurs : la croyance, très générale chez mes concitoyens, dans l'universalité de leur propre culture, et le monoculturalisme qui en découle. Cette croyance fait le lit de l'exclusion et du colonialisme.

Les champs d'action

Cette délégation est transversale : elle concerne la cohésion sociale, la citoyenneté, la culture, l'école, l'éducation, l'action sociale de proximité, le sport, la santé... sans compter que ce dialogue peut concerner aussi les pratiques professionnelles, le rapprochement des générations... C'est donc très large, mais je ne pars pas de rien ; j'ai dit que Brest était, sur ce sujet, une ville passionnante : force est de constater qu'il s'y passe déjà beaucoup de choses. L'action interculturelle ne commence pas avec l'élection municipale de mars 2008. Mon travail prioritaire est de faire un état des lieux de manière à ne pas enfoncer des portes ouvertes, de rassembler l'existant, de le mettre en cohérence, afin de donner du sens à ce qui se fait, de donner de la lisibilité.

Je veux que les Brestois aient conscience qu'il y a derrière ces actions une véritable politique publique. Pour ce faire, je souhaite que la Ville de Brest et Brest Métropole océane signent rapidement la Charte européenne des villes interculturelles. Cette charte propose un cadre d'action très concret.

Une politique au bénéfice de tous

Les premiers bénéficiaires sont, de manière directe, ceux qui, dans leurs projets associatifs, scolaires, ont la volonté de mettre en œuvre l'interrelation des cultures de l'immigration avec celles du territoire d'accueil et qui, par là, mènent des actions génératrices de cohabitation urbaine et de cohésion sociale ; ceux qui savent faire connaître leur culture d'origine tout en s'insérant dans l'espace social du quartier; ceux qui contribuent à faire de la vie de quartier un espace d'arrachement à la prison du contrôle communautaire; ceux qui cherchent de nouvelles voies à l'action sociale de proximité, entre l'égalité de traitement abstrait et le maintien dans la marginalité de spécificités survalorisées... Mais, au bout du compte, c'est la population tout entière qui bénéficiera d'une action favorable à l'épanouissement de la vie sociale.

Des projets concrets

La lutte contre les discriminations dans le travail, le logement, les lieux de santé, l'école et les espaces de loisirs est déjà une action bien engagée dans le cadre du développement social urbain. C'est un travail de longue haleine qui cherche à cerner les faits et les pratiques ; il nous faut repérer les inégalités de traitement qui ont pour effet d'écarter un individu ou un groupe sur la base de motifs illégaux. Cette pratique, basée sur un abus de pouvoir, est un délit, mais le délit est souvent difficile à caractériser car toutes les discriminations ne fonctionnent pas sur le même registre. Il y a ainsi plus de malaise à exprimer une discrimination ethnique qu'une discrimination liée au sexe ou au handicap. Et puis, il y a des discriminations légales comme les emplois liés à la nationalité, certaines allocations différentielles en fonction de la nationalité... Toutes ces discriminations dites légales ne se justifient d'ailleurs pas. Le travail le plus urgent, dans ce domaine, est de produire des outils permettant de prévenir les discriminations et d'accompagner les professionnels en contact avec les victimes.

La lutte contre le racisme et la xénophobie est un autre axe de travail, à ne pas confondre avec le précédent. Avec le racisme, nous sommes dans le registre des valeurs et de l'idéologie. Le raciste jouit d'une position sociale celle du dominant. On peut le retrouver chez les plus marginalisés, car c'est l'ultime ressource de ceux qui sont privés de toute considération. Nous ne pouvons pas nous voiler la face au nom de principes républicains qu'il suffirait d'énoncer : la France est un pays d'antiracisme officiel et de racisme ordinaire toléré et peu combattu. La bonne conscience antiraciste nie les races au plan biologique mais ne prend pas en compte leur existence au plan social.

L'action peut passer par la mise en valeur des bonnes pratiques, le soutien aux projets éducatifs portant sur les représentations et les stéréotypes, la lutte contre le développement de la xénophobie sur les stades, à travers la sensibilisation des supporters et la formation des jeunes joueurs, la formation des acteurs éducatifs et des acteurs sociaux «à la diversité».

Si nous avons décidé de mener un travail sur la citoyenneté "” une citoyenneté pour le 21e siècle, c'est aussi qu'à Brest, comme ailleurs, la société est fragilisée. Ces dernières années ont été marquées par des agressions multiples contre les symboles de l'action publique (école, bibliothèque), en protestation contre une normalisation Forcée sans compensation... Le processus d'intégration individuelle est complètement dévalué parce que l'ascenseur social est en panne. Par ailleurs, nous constatons une absence dramatique de principe d'intégration dans une société qui, d'un côté, tend à s'organiser autour de la consommation et, de l'autre, ne permet pas à tout un pan de la jeunesse, exclue du marché du travail, d'y accéder, L'identité de classe, susceptible de transcender les identités familiales ou communautaires, s'effondre ; cet affaiblissement conduit à rechercher dans des héritages culturels clos les ressources nécessaires à la cohésion de l'environnement proche.

Nous, élus, avec tous les acteurs de la vie sociale, avons à inventer de nouvelles pratiques autour d'enjeux concrets garantir la mixité des espaces publics, remettre du politique au point de contact entre le culturel et le cultuel, former les partenaires éducatifs aux enjeux de la diversité, développer des espaces civiques communs. Écoles et associations y travaillent déjà et contribuent à développer à Brest un écosystème favorable à l'exercice de la citoyenneté et à la cohésion sociale.

Le champ de la culture est évidemment un champ d'action privilégié : nous apportons notre soutien aux artistes engagés dans des expériences d'hybridation et de métissage des cultures. La culture bretonne prouve chaque jour une remarquable capacité à s'ouvrir aux échanges, en particulier dans le domaine de la musique, mais pas seulement... Des actions passionnantes sont menées dans la ville, je pense en particulier à l'accueil d'une artiste turque, Suie Dilek Atasayar, dans le quartier populaire de Keredern. Sa réflexion sur le Seb-î-Arus, l'exil, a parlé au cœur des habitants du quartier parce que son œuvre artistique se déploie autour des questions d'identité, d'appartenance, de renoncement, de renaissance, et aussi parce que le document de présentation, trilingue (français, turc, breton), dit bien la nécessité d'apprendre à communiquer dans plusieurs sphères culturelles à la fois.

Il faudrait aussi citer le festival Breizh-Africa, Cinémaghreb, le festival Grande Marée qui font la part belle à l'oralité des cultures populaires du monde, etc.

Un projet phare ?

Le projet phare, bien connu des lecteurs de HOPALA !, est la fête des Langues (elle a déjà 8 ans) qui vise à rendre visible et audible sur l'espace public l'ensemble des langues parlées et culturellement vécues à Brest. Cette fête est portée par le collectif « Langues du Tonnerre» qui est devenu un partenaire incontournable de cette politique.

La majorité des sociétés du monde vit dans un contexte plurilinguiste ; seule la France érige le monolinguisme en norme et même en idéal. Des débats d'une qualité affligeante ont eu lieu au Sénat, mais aussi à l'Académie française, sur les langues régionales. Contribuer à développer le bi ou le trilinguisme, c'est rendre les citoyens aptes à communiquer d'une sphère culturelle à une autre, c'est leur donner la capacité de communiquer dans des cadres familiers et en dehors d'eux. Exactement le contraire de l'enfermement souvent allégué en objection !

Évidemment, la langue bretonne fait partie de cette diversité à promouvoir. C'est la raison pour laquelle la Ville de Brest et Brest Métropole océane ont passé une convention avec Offis ar Brezhoneg et signé la charte «Ya d'ar Brezhoneg», avec la volonté de la porter à un niveau supérieur.

Inadéquation entre un programme d'action et la politique gouvernementale actuelle

Il y a le discours, et il y a les actes. Pour nous, la diversité culturelle est une richesse et un atout, une composante du développement durable.

Le discours essentialiste de Sarkozy sur l'homme africain, la tentative de légitimer la colonisation par une loi, la notion d'identité nationale accolée comme un garde-fou au thème de l'immigration sont évidemment à l'opposé de cette démarche. Nous avons intégré l'idée que La France est plurielle, que la culture française n'a de référence «universelle» qu'en raison des apports extérieurs, dont elle s'est toujours nourrie. On ne peut penser le dialogue des cultures si on vit l'identité nationale comme un héritage clos à protéger par un ministère. Elle n'existe qu'en acte. Elle pourrait être un objectif pour des milliers de jeunes, mais celle-ci exige des conditions: la démocratie culturelle pour libérer et reconnaître chacun dans sa différence, le lien social pour inclure, l'emploi pour soutenir, la conviction éducative pour affirmer, ensemble et simultanément, la singularité et l'universalité.

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