René Le Bihan, conservateur du musée des Beaux Arts de Brest de 1964 à 2002
« Alors que s'offraient d'autres chemins, j'ai saisi l'occasion de rendre hommage à ma ville et, résistant à tout, je m'y suis tenu, aussi droit que possible ».
René Le Bihan
Sommaire
René LE BIHAN - Conservateur du Musée des Beaux Arts de Brest de 1964 à 2002 - Une vocation exceptionnelle
René LE BIHAN, né le 15 mars 1937 à Lambézellec, s'est éteint à BREST ce matin du lundi 12 mai 2025, à l'âge de 88 ans.
Cet homme d'esprit, non dénué d'humour, modeste et d'une curiosité insatiable, a dévoué sa vie à la quête du sens de la créativité débordante des artistes, de l'ART, à la recherche du « beau » ainsi qu'à la sensibilisation du public au patrimoine artistique et culturel.
Ayant vécu l'horreur de la guerre et la destruction dans sa petite enfance, il était très attaché à la ville de Brest, à son histoire, à son patrimoine matériel et immatériel.
Cet acteur majeur de la renaissance du musée de Brest n'a de cesse de partager ses connaissances sur l'histoire de la Bretagne et de sa ville natale à travers l'analyse des œuvres d'art créées par les artistes anciens, modernes ou contemporains et des fondements de l'architecture et d'en révéler les secrets. Il a écrit (ou co-écrit) 59 œuvres textuelles ou mixtes répertoriées à la Bibliothèque Nationale de France.
Fort de ses voyages et des échanges avec des personnages influents du milieu de l'art un peu partout sur la planète, on lui doit la reconnaissance du musée des Beaux Arts de Brest à travers le monde.
René Le Bihan n'a pensé, toute sa vie durant, qu'« à rendre hommage à sa ville »... Il peut à présent s'en aller en étant fier de ce qu'il a accompli, en toute humilité, pour la renommée de la Ville de Brest qu'il chérissait tant !
Sur le plan personnel, René Le Bihan a partagé sa vie avec son amour de jeunesse, Josette Quillien (épouse Le Bihan), qui s'est investie dans le secteur médico-social dès 1966, date d'ouverture du Centre Médico-Psycho-Pédagogique Jean Charcot à Brest, spécialisé dans les troubles des enfants et des adolescents de 0 à 20 ans. Josette est décédée à l'âge de 82 ans le 29 mai 2021.
Ces deux esprits brillants laissent en héritage les gènes d'une rare intelligence à leur fils, Tanguy, à leur petite-fille, Sarah, et à leur arrière petite-fille, Willow...
Fait à Brest, le lundi 12 mai 2025.
Karine GUILLON, présidente de l'association LA MALOÏNE Tante maternelle de Sarah LE BIHAN CAVAN, la petite fille de René LE BIHAN
LES MUSÉES DES BEAUX-ARTS DE BREST - UN PEU D'HISTOIRE
Le musée originel des Beaux Arts de Brest, installé en 1875 dans l'ancienne halle aux blés, qui avait été transformée en salle des fêtes et qui abritait aussi la bibliothèque et une salle d'entrainements sportifs, avait été détruit par les bombardements anglais dans la nuit du 4 au 5 juillet 1942 durant l'occupation allemande de la deuxième guerre mondiale. Beaucoup d’œuvres d'art et tout un bric-à-brac d'objets exotiques très hétéroclites, collectées durant de nombreuses années, avaient été préparées pour être évacuées et devaient être mises à l'abri dès le 9 juillet mais elles se sont retrouvées ensevelies sous les décombres et en proie aux pillages... Seules quelques œuvres avaient été disséminées ça et là et notamment dans le Maine et Loire.
Ce splendide édifice à structure carrée de 40 mètres de côté surplombant toute la ville de ses 30 mètres de hauteur avec sa toiture pyramidale et construit en 1832 sur la place des halles suscitait l'admiration des habitants de la ville.
Après la guerre et la destruction vint le temps de la reconstruction mais la priorité n'était pas à la reconstruction d'un musée et la reconstitution d'un fonds de musée digne de ce nom.
Un texte extrait du catalogue d'exposition « RENAISSANCE DU MUSÉE DE BREST » au MUSÉE DU LOUVRE du 25 octobre 1974 au 27 janvier 1975
En 1952, le musée fut inscrit au Plan National de Priorité et sa réalisation confié à M. Mathon, architecte en chef des monuments nationaux et urbaniste désigné en 1943 pour la ville de Brest. Il fallut toutefois attendre la fin de la reconstruction pour que la municipalité [...] marque la volonté de reconstituer un fonds de musée et de rebâtir un édifice pour l'abriter.
Si dans les années 1959-1964 quelques tableaux furent achetés (Breenberg, Casanova, Descamps, Jordaens, Maufra, Michel), l'orientation présente du musée vers la peinture commença par la nomination en octobre 1964, d'un nouveau conservateur, René Le Bihan. Il prit le parti de concentrer le domaine d'action et de consacrer, d'une manière quasi-exclusive, les crédits de dommages de guerre encores disponibles à l'acquisition de peintures et d'estampes.
L'achèvement de travaux puis la mise en place des équipements intérieurs permirent la présentation d'un ensemble permanent de peinture. Elle fut ouverte au public en 1968 et n'a cessé depuis de croitre en nombre et en qualité. Parallèlement, dès 1965, commencèrent des expositions temporaires. Depuis 1967, elles se succèdesnt de façon ininterrompue et tentent, pour attirer au musée différentes catégories de visiteurs, d'être aussi variées que possible.Dans ce but, elles présentent aussi bien des peintures que des photographies, des tapisseries que des estampes, des objets que des documents.
Elles concernent aussi bien l'art ancien (paysages du XIXème siècle, Daumier, Amaury-Duval, Chifflart, le temps de Gauguin) que l'art moderne (Lapicque, Debré, Downing, S. Hicks, Rancillac). Elles accueillent aussi bien des œuvres françaises qu'étrangères (allemandes, américaines, autrichiennes, finlandaises...). Ces expositions – dont le nombre aujourd'hui décroissant atteignaient naguère une dizaine chaque année – ont pour but principal de faire connaître au public locale des courants artistiques peu ou pas représentés dans les collections municipales, de créer une animation continue au musée. Chaque fois qu'une nouveauté est mise en lumière, une exposition tentent au plus vite de la présenter aux brestois (posters californiens, minimal Art avec Ellsworth Kelly, nouvelle tapisserie avec S. Hicks ; Fantastique Autrichien ; Hyperréalisme américain, etc.). Il importe en effet de placer les brestois au contact de l'art vivant, de la recherche la plus actuelle et conjointement de leur réapprendre l'existence et le chemin du musée dont ils ont été coupés depuis plus de vingt ans.
Les dix dernières années sont aussi, pour le musée, le temps de la reconstitution de sa collection de peinture. L'originalité de cette entreprise est d'être centrée sur quelques points limités, choisis autant que faire se peut en fonction des changements à venir du goût et des prix. Il est capital – quand on dispose de crédits très limités – d'acheter les œuvres longtemps négligées, au plus tard quand le courant qu'elles illustrent commence à émerger de l'oubli sous l’effet de recherches historiques plus précises ou de l'évolution de la sensibilité.
Á Brest, les points forts sont, en premier lieu, l'école italienne des XVIIème et XVIIIème siècles et son rayonnement tant sur les écoles du Nord que sur la France (on s'accorde d'ordinaire à y voir l'ensemble le plus important réuni en ce domaine depuis trente années) ; en second lieu, le mouvement néo-classique depuis peu classé sous les projecteurs de la célébrité et de l'engouement ; en troisième lieu, le large courant symboliste qui, si varié, englobe l'école de Pont-Aven.
En suite logique du déroulement historique de l'art et de l'activité d'animation mené au musée, une large place est accordée aux recherches contemporaines, figuratives ou abstraites, françaises ou étrangères. Entre ces six noyaux cohérents, le tissu demeure lâche. Des lacunes sont, de tous côtés, flagrantes. Le temps permettra certainement de combler quelques manques. Toutefois, la valeur marchande des œuvres fameuses, le coût des chefs-d’œuvre les éloignent résolument des collections de Brest qui est et demeurera – sauf imprévu – un musée sans vedettes.
Potentiel en 1964, un musée existe dix ans après. Un certain patrimoine a été acquis, restauré, rassemblé, présenté. Désormais, s'il importe de l'amplifier – car tout organisme qui ne se développe pas se sclérose et s'éteint – il importe tout autant d'en tirer parti pour l'éducation et la formation du public. Pour être menée à bien, une telle entreprise réclame des moyens matériels et humains, abondants et spécifiques, une organisation d'une toute autre échelle.
Si la constitution d'une collection peut, à la limite, être l'affaire d'une personne unique – le conservateur – l'accueil du public, la préparation de sa rencontre avec des œuvres réputées difficiles, les étapes de son ouverture aux arts, soulèvent un ensemble de problèmes dont la réponse est essentiellement politique. Si la définition d'un plan d'animation apparaît relativement simple, sa mise en œuvre se révèle plus hypothétique, son résultat plus hasardeux. Le musée n'est pas un lieu de spectacle où l'on se rend aisément. Un travail de longue haleine est à mener, sans lassitude, pour rendre un jour possible l'accès d'un public élargi au domaine secret de la peinture. C'est le projet non plus de renaissance mais de croissance du Musée de Brest.
Le propre d'un musée est de défier le temps.
L'ensemble d’œuvres aujourd'hui acquis [texte écrit en 1974] sera, aux catastrophes près, transmis demain. Témoin des connaissances et du goût d'une époque ; jalon dans une suite sans fin, repère dans une quête universel. La propriété irréductible de l'œuvre d'art réside dans une dualité motrice : maillon précis d'un déroulement et miroir aléatoire devant lequel, sans souci des lieux et des dates,un regardant – présent ou futur – peut ressentir une émotion d'une qualité irremplaçable. Le Musée de Brest se plaça, il y a dix ans, dans cette perspective exaltante et risquée. Audace ou bévue ? Un avenir – proche ou lointain – apportera une réponse claire à ce pari imprudemment engagé.