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Olivier Cuzon, militant à Rien Sans Elles et au planning familial

M. CUZON


Entretien réalisé et enregistré par Dorine Caroff le 24 avril 2009 à 9H30 au domicile.


Olivier Cuzon est professeur de physique-chimie en lycée. Préoccupé par les droits des femmes, il milite à Rien Sans Elles depuis 2000 et au Planning Familial depuis 2002.


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Pouvez-vous vous présenter?


Je m'appelle Olivier Cuzon. Je travaille dans l'Education Nationale. Je suis enseignant en physique-chimie en lycée depuis trois ans. J'ai travaillé pendant cinq ans dans un collège.


Vous faites partie de deux associations qui militent pour le droit des femmes?


Oui, je fais partie de Rien Sans Elles depuis 2000. [1] Et du Planning Familial depuis 2002. [2] Ce qui fait depuis le début pour le Planning Familial, Rien Sans Elles avait déjà débuté depuis 1999.


Qu'est ce qui vous a conduit à vous engager dans ces deux associations?


Le Planning Familial est une association féministe, Rien Sans Elles peut-être un peu moins. Leur principale activité est la défense des droits des femmes. Je pense que c'est une question centrale. Je suis assez engagé par ailleurs dans un syndicat plutôt classé dans la gauche radicale. Cela m'intéresse de bousculer cette société. J'ai réalisé peu de temps avant ces années là et cet engagement que cette question était à la fois centrale et invisible. Au sens où on est extrêmement sensibilisé sur des questions d'injustices et d'inégalités, en terme social, racial, etc... Cette question d'inégalité homme/femme est très peu visible.


Cet intérêt est dû à des lectures, des rencontres?


Des rencontres, c'est un peu une révélation pour moi. Car cela existe sur le papier, dans les organisations politiques, syndicales, dans les médias. Mais en fait, sans plus. On donne juste quelques chiffres. On a l'impression que c'est un peu pour se donner bonne conscience tellement l'affaire est énorme. Mais en fait, il n'y a pas forcément de prise de conscience. Je trouve que quand on en prend conscience, cette question est profondément révolutionnaire au sens où elle bouscule complètement tous nos cadres de pensée. On se rend compte de tous les stéréotypes dont on peut être porteur.


Ces stéréotypes touchent hommes et femmes?


Oui, je pense autant les hommes que les femmes. Sauf que les hommes en l'occurrence sont les oppresseurs et les femmes les opprimées, mais malheureusement, il y a une majorité de femmes, qui je pense n'ont pas conscience de cette oppression. Ce n'est pas une question simple non plus puisque personne ne transmet l'histoire de cette oppression et des formes qu'elle peut prendre aujourd'hui dans la société occidentale.


Effectivement, on ne parle pas de l'histoire des femmes à l'école...


La force de cette oppression c'est d'avoir envahi toutes les sphères de la société, je crois qu'il n'y a pas une sphère dans la société qui y échappe. Cela a traversé les continents, les périodes, les siècles et c'est presque cela qui la rend invisible. Elle est tellement prégnante, qu'on ne la voit même plus. Effectivement, elle n'est pas enseignée à l'école et les enseignants, les manuels scolaires sont même les reproducteurs de cette inégalité. Je pense qu'en tant qu'enseignant en particulier, on a un travail a faire là-dessus, pour voir comment on favorise les garçons. Pour voir comment on nie la place des femmes, l'histoire des femmes.


Étant enseignant dans une filière scientifique, on voit qu'il y a plus de garçons en scientifique?


Oui, c'est un paradoxe d'ailleurs, car les filles ont des meilleurs résultats scolaires en maths en seconde, et pour autant, les garçons vont être plus amenés avec des résultats scolaires moins forts à choisir des filières scientifiques. Et les filles vont s'orienter vers des filières littéraires. On est complètement dans les stéréotypes et dans le manque de confiance en soi. C'est un peu terrible de se dire cela, que l'on est aussi un peu porteur de ces stéréotypes, malgré toutes les valeurs que l'on peut avoir et que l'on essaye de défendre.


Les garçons aussi vont peu dans les filières littéraires?


Oui, car les filières littéraires, du fait qu'elles soient féminisées sont aussi dévalorisées, cela va souvent ensemble. C'est très difficile pour les filles de rentrer dans des secteurs où il y a peu de filles. Elles sont tout de suite marginalisées, ostracisées.


C'est la même chose pour les garçons qui veulent rentrer dans des filières littéraires?


Non, on se rend compte que ce n'est pas symétrique. Les garçons qui rentrent dans des filières de filles sont tout de suite assez choyés, valorisés. Cela laisse songeur d'ailleurs. Je ne suis pas sûr qu'il faille systématiquement faire des campagnes pour valoriser les filières de garçons et dire que c'est aussi pour les filles. Car il y a beaucoup de campagnes dans l'Education Nationale qui disent que l'enseignement technique et l'enseignement scientifique, c'est aussi pour les filles. Mais on se rend compte que les premières filles qui vont essayer de rentrer dans des bastions masculins, vont un peu payer les pots cassés. Cela va être très difficile pour elles. Je pense qu'il faut aussi faire des campagnes pour dire que le tertiaire c'est aussi pour les garçons, que infirmier comme assistant social, c'est aussi pour les garçons. Il faut arriver à revaloriser les filières de filles plutôt que d'être toujours dans une démarche où on dit que les filières dites de garçons sont aussi ouvertes aux filles.


Cela peut aussi être un problème d'image par rapport aux garçons qui s'engagent dans des filières qu'on dit plus féminines...


Souvent, ils sont très bien accueillis, c'est ce que je peux voir dans les filières sciences et techniques sanitaires et sociales. Les quelques garçons qu'il y a sont très bien accueillis, entourés, aidés. Tandis qu'il y a des difficultés pour les filles qui sont dans des filières extrêmement masculines. Elles sont vraiment victimes de violences, dans le sens où on va considérer que ce sont des garçons manqués. Ou si elles sont brillantes, elles vont être marginalisées. Si elles ne sont pas brillantes, elles vont être dévalorisées. C'est aussi vrai après dans le monde du travail. Les premières filles qui ont été pilotes d'avion...


De même que celles qui se retrouvent chef d'entreprise, ou qui s'investissent en politique...


C'est très difficile pour une femme incompétente de garder son poste. On va tout de suite chercher à la mettre en difficulté et vérifier ses compétences. C'est beaucoup moins difficile pour un homme incompétent de garder son poste de cadre. Il sera beaucoup moins contesté. En plus du fait qu'ils ont des salaires plus élevés. A poste équivalent, les femmes ont des salaires qui sont 12% plus faibles. Sur l'ensemble de la masse salariale, on est quasiment de l'ordre de 25%. Et même dans la fonction publique c'est vrai. On pourrait penser que l'on a un système parfaitement bien équitable, mais ce n'est pas le cas. Par le biais de primes, d'heures supplémentaires, car les hommes ont sans doute plus de temps pour faire des heures supplémentaires. Par le biais de promotions, car les hommes ont s'en doute plus de temps pour s'investir dans leur travail.


S'ils ont plus de temps c'est aussi parce qu'ils prennent moins part aux tâches domestiques?


Oui, c'est sûr. C'est quelque chose qui évolue très peu. Sur dix tâches domestiques qui ont été listées par l'INSEE, les femmes en font huit. Les hommes en font une, qui est de laver la voiture et il y en a une qui est à peu près partagée c'est mettre le couvert. Et les femmes font tout le reste. La plus caricaturale, c'est le fait de nettoyer les toilettes. C'est une tâche qui est exclusivement féminine pour 95% des ménages. Or, c'est bien la tâche la moins noble qui soit. Malheureusement, c'est quelque chose qui évolue assez peu avec les années. C'est cela qui est un peu attristant, c'est qu'on pourrait penser que ce sont des choses qui bougent. Et en fait on se rend compte que dans les jeunes couples, cela bouge, on va vers un début d'égalité. Et puis en fait dès qu'arrive le premier enfant, il y a le congé maternité qui va faire que la femme est astreinte à rester à la maison. Du coup, elle va complètement se retrouver en charge de toute la vie domestique. C'est une charge dont elle n'arrivera plus à se départir même quand elle aura reprit le travail.

Ce qui pourrait changer les choses, ce serait le congé parental, qui est étalé sur la longueur et mais qui est prit aussi à 90% par les femmes. La solution peut être de dire que si la mère prend un an de congé parental, il devrait y avoir obligation pour le père d'en faire autant. Il faudrait peut être envisager un système d'équilibre. Car c'est un congé qui peut être intéressant. Il ne s'agit pas de cantonner les femmes à la maison. Il ne faut pas que ce soit un droit qui se transforme en un congé contraint. C'est aussi à mettre en rapport avec la difficulté du monde du travail aujourd'hui. Il y a un certain nombre de boulots où ce n'est pas facile d'aller bosser à la chaine ou autre ; de se faire presser, voir insulter, harceler. C'est plus serein d'être à la maison à s'occuper des enfants. Après on ne sort pas indemne de cette situation en terme de répartition des tâches. Les femmes se retrouvent à assumer 80% des tâches domestiques. On retombe dans les schémas de la femme à l'intérieur qui fait des travaux invisibles, car le ménage, la lessive, la vaisselle ne sont pas visibles. On voit quand cela n'est pas fait, on ne voit jamais quand c'est fait. Les hommes se retrouvent à l'extérieur dans le monde du travail, dans le monde associatif, politique.


Cette image se transmet aussi aux enfants...


C'est pour cela que les choses bougent si peu. Les enfants font comme les parents.


Selon vous, qu'est ce qui fait que les hommes s'investissent peu dans le partage des tâches domestiques?


C'est une inégalité qui est tellement criante, que lorsque on est jeune, on démarre sa vie de couple, chacun se dit qu'il va essayer de faire des efforts. Même si les efforts sont nuancés, on s'aperçoit que en temps passé concernant les tâches domestiques, on tend vers un équilibre. Les hommes s'en retirent parce que c'est la solution de facilité. Les tâches domestiques sont peu valorisantes. A part peut-être la cuisine lorsque il y a des invités. Les femmes se ré-approprient cela car je pense que l'on est imprégné de l'histoire. Lorsque le ménage n'est pas fait, la lessive, la vaisselle ; je pense que c'est une tâche qui incombe "naturellement" aux femmes. La société fait porter la responsabilité de ces tâches là aux femmes et du fait qu'elles ne soient pas faites. Lorsque vous arrivez dans une maison qui n'est pas propre, on a tendance à laisser porter la responsabilité plus aux femmes qu'aux hommes. Elles se retrouvent avec la charge mentale à assumer. Après je pense que l'on a des niveaux d'exigence qui sont différents. C'est lié à l'éducation. Les hommes ne vont pas forcément voir qu'à un endroit c'est sale lorsque les femmes vont le voir. Au quotidien, s'il y en a un des deux qui voit tout le temps que c'est sale et l'autre qui ne le voit pas, c'est plus difficile de se mettre en action. Ce qui se passe, c'est que la femme qui n'a pas forcément envie de nuire à sa relation de couple et qui n'a pas envie d'être tout le temps à rabâcher à son compagnon qu'il faudrait faire le ménage, elle va finir par le faire. C'est un peu la solution de facilité, pour ne pas voir sa relation de couple se dégrader elle le fait. Et puis parfois, c'est plus simple de faire soi-même, cela évite des conflits.


Il y a aussi le fait que les hommes prennent moins part à l'éducation des enfants...


C'est quelque chose qui bouge. Mais on se rend compte que ce ne sont pas les mêmes tâches. Les hommes vont être plus dans des moments éducatifs. Ces dernières années, il y a une vraie évolution, les hommes vont beaucoup plus jouer avec leurs enfants, aller au parc,...Les femmes vont être plus dans des tâches de ce qu'on appelle d'élevage. Comme de changer les couches, donner à manger, même si ce sont des instants éducatifs forts à mon avis. Mais c'est moins valorisant, alors que de jouer avec son enfant...


Est ce qu'il n'y a pas eu une appropriation de l'enfant par la mère?


Il est sûr que la société assigne à la mère la question de l'éducation des enfants. Ce que l'homme fera, c'est quasiment en plus. Après, il y a aussi des mères qui rejettent leurs enfants, et je crois qu'il faut arriver à l'assumer et ne pas juger cela en notion de bien et de mal. J'ai plusieurs témoignages d'amies qui me disent que cet instinct maternel n'existe pas. Il y a des personnes qui quand leur enfant né n'ont pas un attachement particulier, et c'est après que cela se construit. Et je pense que c'est entendable, et cela se comprend très bien. C'est après que l'on construit cette relation entre l'enfant et les parents. Mais c'est absolument tabou, le fait de ne pas être obligé d'aimer son enfant le jour où il né.


Dans les associations où vous militez, y-a-t-il d'autres hommes?


Depuis une dizaine d'années, j'ai vu passer d'autres hommes, mais ils restent moins. Souvent, ils ne restent pas. Moi j'ai été très bien accueilli, cela me met mal à l'aise quelques fois. Ma présence est sur-valorisée.


Cela n'a pas été difficile de trouver votre place au sein de ces associations?


Non, au contraire. Il y a des temps de l'association où je suis plus discret, car je reste néanmoins un homme, et j'ai cette timidité. Par exemple à Rien Sans Elles, il y a le tour de table où j'ai vu des femmes qui arrivaient, qui s'exprimaient de façon extrêmement libre sur des choses très fortes. Je suis parfaitement incapable de le faire. Je trouve que c'est une force. Moi j'écoutais.


Concernant le Planning Familial, vous assurez les permanences?


Oui, j'assure des permanences, j'ai fais une formation pour pouvoir accueillir les femmes et les hommes.


Le fait d'être un homme n'a pas été une difficulté?


Non, au contraire, là aussi ma présence est sur-valorisée. Par exemple, j'ai une anecdote. Il m'est arrivé de faire des permanences avec des femmes infirmières, voire médecins. Lorsque les femmes arrivent pour des problèmes spécifiques, ce sont essentiellement les femmes infirmières qui s'expriment. Moi, je ne dis pas grand chose du coup. On fait toujours nos permanences à deux. Je me rappelle d'un entretien qu'on a eu. J'assurais la permanence avec une femme infirmière. Mais on ne se présente pas par rapport à nos professions. On est militant du Planning Familial. C'est un entretien où je n'avais pas dit grand chose parce que cela avait tourné autour de questions médicales, donc c'est essentiellement la militante qui s'était exprimée. A la fin de l'entretien, la personne m'a demandé si j'étais médecin. C'est étonnant, alors que c'est moi qui en avais le moins dit, car j'étais parfaitement incompétent sur la question. C'est assez révélateur : le seul fait qu'il y ait un homme, on va tout de suite lui assigner une responsabilité médicale ou autre. Alors qu'en l'occurrence, c'était moi qui était le plus en difficulté dans cet entretien.


Certaines femmes n'ont pas été gênées de voir qu'un homme était présent?


Oui, cela peut arriver. De mon côté, j'ai toujours souhaité que l'on demande à la personne si cela ne dérangeait pas qu'il y ait un homme, en particulier lorsque j'ai fais mon stage au Planning à Nantes pour avoir l'agrément. On le faisait de temps en temps, mais sur une question de principe, les militantes du Planning ne le souhaitaient pas trop. Car le Planning est une association mixte, et les hommes sont acceptés de la même façon que les femmes. Il s'avère que cela gêne peu de femmes, cela les surprend. Cela peut les déstabiliser les cinq premières minutes. Puis pour en avoir rediscuter avec elles après, cela ne les dérange pas. Mais je comprends très bien que lorsque les femmes viennent parler de violence, de viols, j'incarne le genre masculin qui les a violenté. A Rien Sans Elles je pense que c'est pareil, cela pourrait mettre mal à l'aise qu'il y ait un homme. Le plus mal à l'aise souvent, c'était moi! La seule chose que je m'interdis, c'est de faire les permanences téléphoniques. Je pense que lorsque on est reçu par un homme et une femme, il y a un équilibre. Cela peut être plus embêtant que ce soit un homme qui décroche. Il n'y a plus d'équilibre.


Depuis que vous militez, avez-vous vu des changements concernant les droits des femmes, leur position dans la société?


On pourrait avoir l'impression que les choses vont dans le bon sens. Mais s'il y a des changements, ils sont à la marge. Les choses évoluent très lentement. Ce sont des choses qui sont tellement ancrées dans le quotidien que les choses évoluent très lentement. Il y a des choses qui vont plutôt dans le bon sens. Mais quand on parle du partage des tâches domestiques, cela relève de quelques minutes tous les ans. Je pense qu'il y a des domaines où ça ne va pas dans le bon sens. Comme le droit d'accès à l'avortement ou à la contraception. On a des offensives d'organisations politiques qui travaillent à rendre plus difficile le droit d'accès à la contraception et à l'avortement. Il y a quelque chose qui est récurrent depuis une dizaine d'années, c'est de reconnaître un statut au fœtus. Cela peut être dans une loi pour la sécurité routière, où il est question de mettre en cause un conducteur qui a un accident avec une femme enceinte. Ce serait une cause aggravante si le fœtus décède. Quelque part, c'est reconnaître un statut au fœtus. Il était question de criminaliser des femmes enceintes qui tomberaient dans l'escalier et à la suite duquel le fœtus décèderait. On pourrait accuser la femme d'avoir tuer son fœtus. C'est extrêmement grave, car quelque part, c'est remettre en cause le droit à l'avortement. C'est à dire qu'une femme qui choisirait d'avorter, pourrait si de telles lois passaient être accusée d'avoir tué un fœtus. Pour la contraception, c'est des difficultés financières. On voit qu'il y a des nouvelles pilules qui sortent régulièrement, qui sont mieux dosées et acceptées. Mais elles ne sont pas ou mal remboursées. Les pilules les mieux remboursées sont celles de premières générations qui sont les plus mal dosées. Ce n'est pas normal qu'on en soit encore là. Les dernières générations devraient être les mieux remboursées et tout le monde devrait y avoir accès.

On sait que régulièrement, il y a encore des blocages autour du monde catholique sur la question de la contraception. En France, cela ne fait pas trop de dégâts car lorsque le Pape s'exprime contre le préservatif, il y a une communauté catholique qui est suffisamment émancipée pour faire la part des choses dans ce que le Pape dit. En Afrique, c'est dramatique car ils ont peut être plus tendance à prendre au pied de la lettre ce que le Pape dit. C'est continent le plus touché par le SIDA. C'est criminel, il n'y aucun respect de la vie. Des signes comme cela laisse inquiet sur l'avenir. Est ce que l'on va vers plus de droits en terme d'avortement ou de contraception pour les femmes? Je ne suis pas persuadée. Je pense que l'histoire n'est pas écrite, qu'il y a des droits qui sont encore à défendre, qui sont fragiles et toujours menacés. Il y a des idéologies politiques qui combattent cela et pour qui ce n'est toujours pas acceptable. Le droit à la contraception et à l'avortement, ce n'est toujours pas quelque chose qui est accepté.

Au quotidien, il faut savoir qu'il y a de moins en moins de gynécos dans les hôpitaux car les services qui concernent l'avortement sont dévalorisés. C'est une profession qui est dévalorisée d'une part du point du vue financier mais aussi par le corps médical. Il y a une hiérarchie entre les services hospitaliers, c'est un service qui est moins choisi par les chirurgiens. La loi permettant aux médecins et aux infirmières de pouvoir choisir d'effectuer ou non un avortement amène le service public à de plus assumer sa mission. Il y a des régions de France, comme la région parisienne ou Provence-Alpes-Côtes d'Azur, où ce n'est plus possible en plein été de subir un avortement dans les délais. Cela veut dire que le droit à l'avortement n'est plus respecté, donc les femmes sont obligées de partir à l'étranger et c'est plus compliqué, plus cher. Ce n'est pas un droit qui est garanti sur le territoire. Et il y a le poids moral, extrêmement lourd qui reste sur l'avortement. Avoir un enfant, c'est un droit et c'est un choix. Les femmes qui avortent une fois ou plusieurs fois sont tout de suite jugées. On se permet de les juger, alors qu'on ne connait rien à leur histoire de vie, leur parcours de santé. L'avortement n'est pas vu comme un échec, mais comme un luxe, de quelqu'un qui peut se payer le luxe d'avorter. Je pense que c'est un droit qui est fragile et qu'il faudra continuer à défendre dans les prochaines années.


Quant à la place des femmes dans le travail et en politique, voyez-vous des changements?


C'est vrai que les femmes ont été ostracisées en politique. On se rappelle d'Édith Cresson, [3] une des premières Premier Ministre. On s'est très vite attaqué aux femmes, la candidature de Ségolène Royal a tout de suite été attaquée en tant que femme, pas forcément sur ses idées. Même au sein de son parti elle a été attaquée en tant que femme. La misogynie c'est quelque chose de prégnant partout. Je pense que la loi sur la parité a fait en sorte qu'elles étaient incontournables, on a été les chercher pour pouvoir monter des listes. Cela leur a donné une place, mais sans doute qu'elles souffrent encore d'un manque de légitimité. On leur reprochera longtemps cette loi, en considérant qu'elles sont là parce que c'était incontournable. L'Assemblée Nationale reste très majoritairement masculine, de même que le Sénat. [4]. Les maires des grandes villes sont très majoritairement masculins, les présidents des Conseils Généraux aussi. Le Président de la République est un homme, le Premier Ministre aussi. Il n'y a pas de changement majeur pour l'instant. Il faut s'imaginer ce que pourrait être la vie politique si le Président de la République était une femme, le Premier Ministre une femme, les Présidents de l'Assemblée et du Sénat des femmes si l'Assemblée Nationale était à 80% des femmes, les maires des grandes villes des femmes. Je pense que cela donne une image de la violence dans laquelle on est aujourd'hui. Sur le monde du travail, je pense que les femmes ont une position qui reste extrêmement fragile. Aujourd'hui les femmes sont dans le monde du travail car on a besoin d'elles, mais qu'en période de crise, il peut y avoir des réflexes un peu réactionnaires et conservateurs qui tendraient à ramener les femmes dans les foyers. C'est un discours que l'on pourrait entendre dans les mois et les années à venir si le chômage devait augmenter encore très fortement. Ce n'est pas une place qu'elles ont complètement gagné, qui leur a un peu été accordée car on avait besoin d'elles. On sent qu'il y a encore des résistances. Il y a des tentatives et des volontés de remettre les femmes à la maison. Il faut être vigilant sur les dispositifs qui peuvent ramener les femmes à la maison. Le fait qu'elles ne soient pas complètement légitimes, c'est la différence de salaires. Pourtant il y a des lois. Dans la loi, je pense que les choses ont évolué depuis 20 ans. [5] Dans les textes, plus personne n'assumerait que cette égalité ne soit pas inscrite. Dans les faits et les mentalités ce n'est pas acquis. Il y a encore un fort sentiment que les hommes et les femmes ne sont pas égaux, qu'il y a des différences.


Les hommes ont peut-être peur de cette égalité, à savoir que la situation s'inverse?


Les hommes ont peur de cette recherche d'égalité car ils ont beaucoup à perdre. C'est confortable pour eux aujourd'hui la situation d'oppresseur. Dans le monde du travail, ils gagnent plus, ils sont plus en situation de responsabilités. A la maison, ils ont moins de tâches domestiques. Le monde politique leur appartient, ainsi que le monde syndical. Le monde associatif ne leur appartient pas car il y a beaucoup de femmes, mais dans les responsabilités, ce sont les hommes que l'on trouve. Dans un premier temps, ils ont surement à perdre, mais ils ont à y gagner sur le long terme. Il faudra accepter de lâcher du pouvoir. Cette inégalité entre les hommes et les femmes est injustifiable aujourd'hui pour qui prétend défendre un modèle de société émancipée, égalitaire. C'est sur qu'il y a beaucoup de choses à perdre. On se rend compte que lorsque les femmes ont autant de pouvoir que les hommes, on a l'impression qu'elles ont plus de pouvoir. Le peu de pouvoir qui leur est accordé est sur-médiatisé. Dans une assemblée, c'est la même chose. Lorsque une femme parle autant que les hommes, on a l'impression qu'il n'y a qu'elle qui parle. On a l'impression qu'elles envahissent l'espace sonore dès qu'elles parlent. Dans une classe, les garçons le vivent comme cela. Lorsque le professeur donne la parole aux filles, les garçons vont avoir l'impression qu'on les avantage. Cette recherche d'égalité est difficile à accepter, et c'est en cela que c'est révolutionnaire, car cela peut nous faire changer notre quotidien de façon profonde j'espère.


Notes et références

  1. Rien Sans Elles est un collectif né en 1999, dans le cadre de la préparation de la marche des femmes en 2000. Leurs actions portent sur les violences conjugales, la prostitution, la parité, la solidarité internationale,...
  2. Le 8 mars 1956, c'est la création de l'association Maternité heureuse par Marie-Andrée Lagroux Weill-Hallé, médecin. L'association est alors destinée a informer sur les moyens anticonceptionnels, et donne des consultations médicales. Elle se trouve durant quelques années hors-la-loi en délivrant des contraceptifs. En 1960, l'association prend le nom de Planning Familial. Le premier centre ouvre à Grenoble en 1961, où il y a un atelier clandestin de crème spermicide.
  3. Édith Cresson fût Premier ministre de 1991 à 1992 sous la présidence de François Mitterrand.
  4. Nombre de femmes à l'Assemblée Nationale : 107 femmes sur 577 hommes. Nombre de femmes au Sénat : 76 femmes sur 347 hommes.
  5. Une série de loi intervient en faveur de l'égalité des femmes au travail:
    • La loi de 1972 sur l'égalité des salaires.
    • La loi de 1975, sur la non-discrimination à l'embauche.

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