Nicole Camblan, trésorière du CE de Jabil Brest
Nicole Camblan, trésorière du CE de Jabil Brest, portrait-interview réalisé par Anne-Marie Kervern (UDB), à l'occasion de la journée mondiale des femmes, le 8 mars 2008.
Nicole, nous nous sommes connues dans le comité de soutien qui s'est créé dès l'annonce des 230 licenciements dont la menace pesait sur Jabil, une entreprise « historique » de Brest qui fabrique des centraux téléphoniques. Ta combativité a été remarquable et beaucoup de Brestoises voudraient en savoir plus sur toi.
Nicole : J'ai 52 ans et je suis originaire d'une famille de onze enfants de Kersaint-Plabennec. Je suis entrée comme ouvrière soudeuse à Jabil (Ericsson à l'époque) en 1974. Je suis trésorière du Comité d'entreprise depuis 1981. Je concilie donc mon travail à la production avec 20heures de délégation par mois pour le CE.
Depuis 74, tu fais toujours le même travail ?
Non, en fait, grâce à la formation continue, je suis devenue technicienne ; mon travail consiste à réaliser le test final avant le départ du central téléphonique chez le client. Mais je suis toujours ouvrière soudeuse dans ma tête. C'est celle-là mon identité professionnelle.
Aujourd'hui, 207 personnes ont quitté l'entreprise, beaucoup étaient volontaires au départ afin de démarrer une reconversion plus rapidement. Tu n'as pas eu cette tentation ?
Non, je n'étais pas volontaire au départ. Question de principe : si on ne croit pas en l'avenir du site, on est perdu. On peut encore se battre avec les 303 salariés qui restent après le départ des 207 collègues.
L'impression de gâchis ne te décourage pas ?
Il ne reste plus que 303 salariés sur ce site qui aurait pu en accueillir 1200. Découragement, non, mais inquiétude oui, face à un centre de décision lointain (Floride) qui poursuit des objectifs de rentabilité à très court terme. La délocalisation des cartes électroniques en Chine obéit à un impératif de gain maximum immédiat ; la qualité développée sur notre site n'est plus un critère prioritaire. La logique veut que lorsque cette production sera plus rentable ailleurs, la production quitte la Chine pour un autre site.
Que représentent les femmes à Jabil ?
Au départ d'Ericsson, il y avait 80% de femmes à plein temps : les « petites mains », c'était nous ! Le temps partiel a commencé au début des années 80, avec les nouvelles technologies (arrivée de l'électronique). Ces technologies permettaient, et permettent toujours, de produire plus avec moins de personnel.
Le temps partiel a été bien ou mal vécu ?
Le temps partiel a été gagné par les salariés pour éviter les licenciements. Une conquête, sans doute, puisque c'était sur la base du volontariat, mais avec des conséquences essentiellement sur les femmes.
Pourquoi sur les femmes ?
Seules les femmes, dont beaucoup étaient jeunes mamans avec enfants en bas âge, ont été demandeuses de ce temps partiel. Ce volontariat, contraint par les conditions économiques, a été vécu comme acceptable, parce qu'il correspondait à une attente de jeunes femmes qui s'étaient déjà battues pour obtenir une crèche au sein de l'établissement. Il y a eu jusqu'à 75 femmes enceintes en même temps, la même année ! Aujourd'hui, ce temps partiel est toujours vécu comme acceptable, et même comme une faveur, puisque la direction n'accepte plus les temps partiels.
Mais qu'en pensent les jeunes, aujourd'hui ?
Il n'y a pas eu beaucoup d'embauches, depuis lors, donc, on n'est pas confronté aux aspirations des nouvelles générations. Dans ce milieu clos (pas d'étrangers, pas de nouvelles recrues, de rares nouvelles embauches qui concernent surtout des hommes...), le salaire de la femme est toujours considéré comme un salaire d'appoint.
Comment se fait-il que les femmes ne voient pas que ces temps partiels les piège dans la précarité ?
C'est triste à dire, mais c'est au moment des ruptures (deuil, divorce, séparation) qu'on constate le piège et que l'on découvre toute la valeur d'un salaire qui ne soit pas d'appoint.
Comment expliques-tu la forte participation des femmes dans les grèves ? N'est-ce pas contradictoire ?
Dans les stratégies de grèves, il est vrai que ce sont souvent les femmes à temps partiel qui font grève : gagnant moins, elles perdent moins et le couple en pâtit moins.
Qu'est-ce qui a été important dans ton parcours ?
Incontestablement, la formation : j'en ai bénéficié et je me bats pour que toutes puissent y accéder. Ce n'est pas un combat mineur. La formation a toujours été réservée aux hommes, pour eux, la progression était « naturelle ». En revanche, chaque fois qu'une femme a changé de qualification, ça a toujours été à la suite d'une lutte, alors que les hommes bénéficiaient de « plans de formation. On a été longtemps, trop longtemps comme « mangées » par les hommes. cette situation leur semblait normale, confortable. Oh, bien sûr, ce n'était pas une stratégie avouée, mais les faits sont là. Pour éluder la question, on va toujours citer des femmes en formation : oui, mais limitée à l'adaptation au poste de travail. Ce n'est pas cela que je revendique : j'ai plus d'ambition pour les ouvrières. Peut-être les choses vont-elles changer avec l'arrivée d'une femme DRH.
Tu es une militante syndicale. C'est au titre de la CGT que tu as été élue au CE. A ton avis, les femmes occupent-elles une place particulière dans l'action syndicale ?
Particulière, oui, quand même. Au moment du vote de la loi sur la parité en politique, il y a évidemment eu un débat au sein de la CGT. A la CGT Alcatel-Jabil, il n'y avait pas de problème de parité, la proportion hommes/femmes était à peu près 50/50.
Alors, tout va bien ?
Pas si vite ! Au moment fort de ce débat, quand on a regardé comment les choses se passaient dans l'entreprise, on a remarqué que le poids des hommes était de 80% dans les décisions. Les femmes ne savent toujours pas faire valoir leur point de vue. Cela évolue, mais lentement.
Alors, la parité, ce n'est pas une simple question d'arithmétique ?
Non, certainement pas. C'est d'abord une question d'éducation. La parité, ça commence dans l'éducation de la petite enfance.
Et toi, comment as-tu appris à faire valoir ton point de vue ?
L'éducation par l'exemple, c'est quelque chose ! Il y a dans mon engagement une source familiale très militante. Mon père, agriculteur, a mis en place la défense sanitaire du bétail, il a été un précurseur de ce que l'on appelle aujourd'hui la traçabilité. De Kersaint-Plabennec, il allait en vélo à Landerneau où il prenait le train pour se rendre à des réunions à Quimper. Cet exemple, plus le fait qu'à Jabil je sois tombée dans un contexte amical, ont contribué à me placer en première ligne. Une fois élue déléguée CGT, ça m'a plu, tout m'a plu.
Tu peux nous en dire plus sur ce côté plaisant ? Souvent on s'imagine que l'action militante, c'est la galère...
D'abord, je pouvais m'exprimer, et j'avais des choses à dire...alors, pourquoi se priver ? La liste est longue de tout ce que le syndicat m'a apporté : éducation, culture, du recul par rapport aux événements... et du plaisir, franchement, beaucoup de plaisir : le plaisir de partager des projets, le plaisir du combat avec les autres, le plaisir d'obtenir des moyens pour apporter aux salariés ce qu'ils ne peuvent pas s'offrir eux-mêmes (cours de musique, activités sportives, théâtre avec la pièce « Politique Qualité »...). J'aime le regard heureux des enfants au retour des séjours de neige. Il faut le dire et le répéter à celles qui ont peur de l'action militante : s'investir, ce n'est pas que du boulot et de la contrainte : c'est du plaisir et du bonheur.
C'est du bonheur, parce que tu as le sens du collectif. Mais si on ne l'a pas ?
C'est vrai que, issue d'une famille de onze enfants, j'ai vite fait l'apprentissage du collectif et de la diversité. De mes dix frères et sœurs, il n'y en a pas deux qui se ressemblent, néanmoins, on est une vraie famille. Le modèle individualiste qu'on nous propose est un piège, il faut apprendre à voir plus loin que le bout de son nez : le CE est à tous, mais si on n'en prend pas conscience, un, jour, faute de militants, il n'y aura plus de CE. Rien ne nous a jamais été donné. Les jeunes doivent se souvenir que les congés payés ont été obtenus de haute lutte. Tout a toujours été gagné par l'action collective.
A l'occasion de la Journée mondiale des femmes, tu as envie de dire quelque chose à celles que tu croisées dans la vie sociale ?
Une femme qui veut faire avancer les choses, doit le faire en permanence : au moindre relâchement, on régresse.
Est-ce qu'on peut parler du bonheur dans le monde du travail ?
Oui, on peut en parler, ce n'est pas tabou, ce bonheur existe, mais on ne le trouve pas forcément dans l'activité professionnelle elle-même. On le trouve plus sûrement dans le partage avec les autres.
Et de la liberté, on peut en parler ?
La liberté, pour les femmes, c'est l'autonomie (mais pour qui est-ce que ça ne l'est pas ?). Seulement pour les femmes, ça ne se trouve pas dans une pochette surprise, c'est une conquête, et quelque fois, elle fait peur. Celles qui découvrent l'autonomie, je les vois se transformer physiquement et moralement. Elles deviennent belles, séduisantes, elles se libèrent, prennent des risques, découvrent des activité nouvelles. Elles s'autorisent des choses qu'elles ne s'autorisaient pas avant (comme faire du roller à cinquante ans !). Souvent, cette découverte de l'autonomie se produit après une rupture, mais il faudrait que les femmes prennent conscience que cette conquête de l'autonomie peut se faire aussi dans le couple. Cela s'appelle le droit de vivre.
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