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Le Folgoët en 1902 vu par "Le Journal du Dimanche"

"Le Journal du Dimanche"[1] est au début du XXème siècle un bi-hebdomadaire parisien de tendance républicaine et laïque, qui décrit donc avec un regard critique les opinions des Bretons du Léon et la foi des pèlerins du Folgoët au début du XXème siècle, ainsi que la défense des écoles privées catholiques en 1902, le tout dans deux articles parus dans le même numéro de cette revue et signés de deux auteurs différents. Le texte intégral de ces deux articles a été retranscrit.

La défense des écoles congréganistes [2]

« C’est à l’assaut qu'il a fallu enlever les places fortes qu'étaient devenues les écoles de Saint-Méen, du Folgoët et de Ploudaniel. De véritables barricades avaient été élevées autour d’elles. Un vice-amiral[3], revêtu du grand cordon de la Légion d’honneur, haranguait les foules pour les exciter à la résistance. Des paysans versaient des bisons de pétrole sur le dos des soldats, puis projetaient ensuite sur eux des bottes de paille enflammées en clamant Vive l’Armée !, ce qui est une façon nouvelle de l’honorer et de l’aimer. Tout cela se passait encore au milieu de chants, de cantiques, pendant que les cloches sonnaient alternativement le tocsin et l’ Angelus. De nombreux témoins racontent qu'ils entendaient distinctement pousser les cris de Vive le Roi ! et Vivent les Sœurs !, et que, d’ailleurs, de nombreux portraits du duc d’Orléans[4] mélangés à ceux de la Sainte-Vierge et de Déroulède[5] étaient placardés sur les murs. Qui disait donc que le complot royaliste n’existait pas ? »

(Léon Robelin[6]- Le Journal du Dimanche du 24 août 1902[7])

Le Folgoët et son pèlerinage

Vue générale du Folgoët vers 1870 (photo de Théophile Jaouen)
Le tracé de la voie ferrée allant de Landerneau à Brignogan via Le Folgoët

« Ceux qu'étonne la résistance opposée dans certaines communes du Finistère à l’application des décrets visant les écoles congréganistes connaissent mal ou peu l’âme des paysans bretons. »

« Ils sont fanatiques avant tout, d’un fanatisme rude, mystique, fait de mystères et de traditions léguées par leurs ancêtres. Leur horizon est borné par la mer et par les landes du pays natal. C’est en langue bretonne que sont rédigés leurs journaux politiques ou religieux. C’est également en breton que sont prononcés, au prône, les sermons, pieusement écoutés, des recteurs, parfois chansonnés, mais toujours craints. Aucun raisonnement, aucune hésitation. La foi, aveugle, faite surtout de la peur invincible de l’au-delà ! »

« J’ai eu l’occasion, il y a plusieurs années, de parcourir ces pays de Ploudaniel, de Lesneven et du Folgoët, où il semble que la résistance soit particulièrement forte et absolue. A l’époque[8], il n’y avait aucune relation avec ces communes, enfoncées dans les terres sauvages du pays d’Armor, autrement que par de vieilles et lourdes palaches[9], recouvertes de bâches, et décorées du nom, quelque peu prétentieux, de diligences. Ces voitures, sans confort d’aucune sorte, mal balancées, aux essieux grinçants, aux rudes cahots, partaient soit de Brest, dans une rue étroite parallèle aux remparts, soit de Landerneau, près de la gare. Il fallait compter trois heures environ pour se rendre de Brest à Lesneven, dont le collège[10] jouissait d’une grande réputation dans la Bretagne entière. »

« Un peu avant d’arriver à Lesneven, on traversait Le Folgoët, dont les blanches maisons bordent les deux côtés du chemin. Ce bourg est surtout remarquable par son église, très ancienne et très pittoresque. Au milieu d’une grande affluence de pèlerins, accourus des coins les plus éloignés, des terres les plus isolées comme des plages les plus écartées, voire même des îles qui bordent le littoral breton, en présence de représentants illustres de l’épiscopat français, de cardinaux, d’archevêques et d’évêques, il y a quelques quinze ans, l’église du Folgoët fut érigée en basilique[11]. »

« Hobereaux, paysans et paysannes, vieillards, jeunes gens et enfants, furent obligés, faute de place, de coucher dans les champs, à la belle étoile. Que leur importait vraiment ce léger désagrément ? Venus avec leurs bannières, leurs musiques, leurs vêtements de fête, superbes par la variété de leurs couleurs surtout pour les femmes, ils tenaient à affirmer leur foi dans les solennités religieuses, organisées en grande pompe en cette occasion. »

« La veille de la principale cérémonie je pus assister à ce spectacle inoubliable, de voir, dévalant le long de la route serpentant à travers les champs et contournant la basilique, une foule de vingt mille personnes au bas mot chantant, dans la plus étrange des cacophonies, des cantiques tandis que les prêtres, en surplis, dirigeaient la marche de la procession et que les musiques faisaient rage. C’était la nuit, et chacun des fidèles tenait à la main une chandelle, enveloppée dans un journal en forme de cornet. Cette vision ne manquait ni de cachet, ni de grandeur. On sentait une telle conviction dans cette démonstration qu'elle ne pouvait vous faire sourire.

Le vitrail de Salaün ar Fol
Le Folgoët : la fontaine de Salaün ar Fol située à l'arrière de la basilique

Comme presque toutes les églises de Bretagne, celle du Folgoët a sa légende, répétée de génération en génération, à la veillée, dans les chaumières, pendant que le feu de sarment pétille dans l’âtre. Folgoët est un nom composé de deux mots bretons qui signifient Le fou du bois. A une époque très reculée et indéterminée vivait, au milieu des bois, à l’endroit aujourd'hui occupé par le bourg, un pauvre fou. Il se nourrissait de faines, d’herbages et de fruits. Grimpant dans les arbres, il se balançait dans leurs branches, répétant, sans jamais s’interrompre, ces simples mots : Ave Maria ! Ave Maria ! »

« Un beau jour il mourut et alors se produisit le miracle consacré par la légende. Au bout de quelque temps, on s’aperçut qu'à l’endroit où il avait été enterré une plante verte et vigoureuse avait poussé. Sur chacune de ses feuilles s’étalaient en lettres d’or les paroles si souvent prononcées par le pauvre fou : Ave Maria ! Ave Maria ! La terre fut creusée et on vit alors que la plante miraculeuse sortait de la bouche du fou. Ce ne fut pas tout : une source, jusque-là inconnue, se mit à sourdre au même endroit. Elle existe toujours, la source aux eaux murmurantes et claires. Elle est même encastrée dans la partie de l’église située derrière le chœur, église devenue depuis basilique et élevée jadis pour conserver, à travers les siècles, le souvenir de ces faits mémorables. »

« Église et source sont encore un lieu de pèlerinage particulièrement fréquenté. Une touchante coutume s’est même transmise d’âge en âge. Promis et promises des communes environnantes viennent à la source du Folgoët avant la consécration de leur union. Chacun d’eux jette dans l’eau, d’une limpidité de cristal, une épingle en acier. Si les épingles surnagent c’est un présage de félicité, d’amour et de prospérité pour les futurs époux. Si au contraire les épingles coulent et vont rejoindre celles qui les ont précédées et s’amoncellent au fond de la source, les plus graves éventualités sont à craindre. Un sort est jeté sur les amoureux. »

« Combien d’autres légendes qui, comme celle-ci, mériteraient d’être rapportées, constituent l’histoire poétique de la Bretagne. Comme le granit de ses plages, résistant à l’assaut furieux des vagues, les gars de l’Armor opposent aux conquêtes du progrès et de la science une opposition naïve mais irréductible. »

(Albert Willm[12]Le Journal du Dimanche du 24 août 1902[13])

Notes et références

  1. Voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Journal_du_dimanche
  2. Il s'agit d'écoles privées catholiques, tenues par des congrégations religieuses, en l'occurrence les "Filles du Saint-Esprit", voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Filles_du_Saint-Esprit
  3. Il s'agit du comte Jules de Cuverville, effectivement vice-amiral et alors sénateur, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Jules_de_Cuverville
  4. Philippe d'Orléans (1869-1926), « duc d'Orléans », est alors le prétendant au trône de France, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Philippe_d%27Orl%C3%A9ans_(1869-1926)
  5. Paul Déroulède, poète, écrivain et militant nationaliste, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9roul%C3%A8de
  6. Né à Longjumeau, Léon Robelin (1866-1938) devint secrétaire général de la Ligue de l'Enseignement, organisation ayant pour but la diffusion de l’instruction dans les classes populaires et la défense de l’enseignement public, en 1899. il fut aussi maire de Longjumeau de 1896 à 1927 et joua un rôle important dans la création de sociétés de secours mutuel, étant jusqu'à sa mort un acteur important de la Mutualité en France, voir http://www.musee.mutualite.fr/musee/musee-mutualite.nsf/PopupFrame?openagent&Etage=x&Piece=x&Nb=1&Ref=robelin
  7. consultable http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5678145s/f1.image.r=Ploudaniel.langFR
  8. Albert Willm évoque les années précédant 1894, date de la mise en service de la voie ferrée allant de Landerneau à Brignogan, dont une halte desservait Le Folgoët, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Chemins_de_fer_d%C3%A9partementaux_du_Finist%C3%A8re
  9. Mot totalement tombé en désuétude et peu connu signifiant "guimbarde", c'est-à-dire un grand chariot, une longue voiture couverte à attelage, généralement usagée et bruyante, sans élégance ni confort
  10. Il s'agit du collège Saint-François de Lesneven
  11. Titre honorifique attribué à une église, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_(christianisme)
  12. Albert Willm (1868-1944) est un journaliste né à Brest où il fit des études de droit et collabora à plusieurs revues locales avant de s'inscrire au barreau de Paris et d'adhérer en 1896 au Parti socialiste révolutionnaire ; il publie des articles dans de nombreux journaux, y compris L'Humanité, qui est alors un journal socialiste. Il fut député de la Seine de 1906 à 1914, s'inscrivant au groupe socialiste, voir sa biographie détaillée sur le site Internet http://www.assemblee-nationale.fr/sycomore/fiche.asp?num_dept=7423, ou encore http://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Willm
  13. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5678145s/f7.image.r=Ploudaniel.langFR
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