Interview-Sillage : Manu Lann Huel, auteur-compositeur-interprète
Cet article est extrait du Magazine Sillage N°76 - été 2000 |
"Brest, une ville qui ancre"
Il est de la race des laboureurs de mots et de sons, des explorateurs de légende. C'est un terrien libertaire qui regarde la mer, vers les îles. Pour Manu, deux langues valent mieux qu'une et il aime autant celle Per-Jakez Helias que celle de Léo Ferré. À Brest, qu'il fréquente assidûment depuis trente ans, il a fini par jeter l'ancre. Pour être au plus près des quais et des bateaux. Brest 2000, il en sera forcément.
Pourquoi le nom de scène de Manu Lann Huel ?
Mon nom patronymique est Manuel et on m'appelait Manu. Ce nom étant déjà déposé à la SACEM, il m'a fallu trouver autre chose. En fait, j'ai repris l'ancien nom de ma famille: Lann Huel ar Reun.
Quand êtes-vous arrivé à Brest pour la première fois ?
Au lycée à Quimper, avec quelques copains, nous avions décidé de faire médecine. Je suis donc arrivé à Brest en 1969. Mais en même temps que mes études, j'allais chanter dans les cabarets des chansons que j'écrivais, ce que peu faisaient à l'époque.
Vous avez préféré les mots aux maux ?
Je me suis pris d'autant plus facilement au jeu que je n'étais pas à l'aise face à la maladie. Je suis resté trois ans en médecine, mais je garde un excellent souvenir de ces années-là.
Ensuite ?
J'ai un peu voyagé : Grenoble, Paris, Le Conquet en revenant tout le temps à Brest. Je m'y sentais bien, en prise directe avec la mer.
Douarnenez-Brest, c'est votre zone d'inspiration ?
Toute cette partie, plus la côte nord. J'ai vécu à Plouguerneau, au Zorn. Toutes ces pérégrinations m'ont permis de mettre le breton en bouche et pas seulement dans la tête.
Comment a évolué votre parcours ?
J'ai suivi un parcours étrange. D'abord seul avec une guitare, puis dans un groupe de rock en 1976. Mais à douze, c'est plus difficile de trouver des concerts. J'ai aussi travaillé avec Blet et Santangelli, des anciens de la bande à Higelin. Et petit à petit, les instruments traditionnels qui ont marqué mon enfance, bombarde et cornemuse, m'ont attiré.
Comment vous classez-vous ?
Je n'ai jamais eu l'impression d'être classable. Je ne suis pas un chanteur breton mais un chanteur de Bretagne. Et je ne suis pas non plus un chanteur traditionnel à part entière, même si je viens de passer trois-quatre semaines à Nantes où j'ai travaillé sur de la musique traditionnelle avec des Québécois et des Irlandais.
La Bretagne a le vent en poupe ?
Les nouveaux groupes de fest noz ont une frite d'enfer. Mais des Stivell, Yann-Fanch Kemener, Jacky Molard, Jacques Pellen et d'autres défrichent depuis des années pour marier compositions d'aujourd'hui et instruments traditionnels.
De quelle œuvre êtes-vous le plus satisfait ?
J'aime bien un peu tout, sinon je ne l'aurais pas fait. Bien sûr, j'ai un penchant pour le dernier CD : Ile-Elle.
C'est vraiment la mer qui vous inspire ?
Plutôt ce qu'il y a derrière. Ce sont surtout les gens, leur vie, ce qu'ils disent.
Et les îles ?
Quand je vais à Sein ou Molène, j'ai l'impression d'être à l'autre bout du monde et de laisser mes soucis sur le continent.
Votre préférence ?
Je les aime toutes, mais j'ai tendance à préférer celles qui sont les plus ramassées: Molène, Sein, Batz, Houat. Ouessant, c'est grandiose.
Pouvoir dire les choses en deux langues, c'est un atout ?
Avoir appris le breton en même temps que le français, c'est une chance pour moi. De même que Molène fait partie du patrimoine mondial, la langue bretonne doit faire partie de la culture mondiale.
Comment avez-vous vécu Brest 92 et Brest 96 ?
Je n'ai pas donné de concert en 1992, mais j'y étais. Comme à Douarnenez 1986 et 1988. En 1996, An Tour Tan a été spécialement monté à la demande des organisateurs.
Quid de Brest 2000 ?
J'ai écrit de nouveaux textes que m'inspirent Brest et la rade. Ils seront dits en public devant des milliers de gens lors de la parade navale du 15 juillet. C'est Jacques Couturier, l'artificier de la fête, qui en est le maître d'œuvre.
Vous ressentez ces moments d'attente avec trac ou excitation ?
Je ne suis pas stressé. Il faut parfois savoir être tout simplement interprète afin que le public soit emballé.
Qu'est le chant pour vous ?
C'est de la poésie. L'émotion naît quand le son des mots va avec la musique. Même dans le rap, qu'on peut rapprocher du kan ha diskan, on note un retour de la mélodie.
Vos espoirs pour les années 2000 ?
J'espère voir la concrétisation de toutes les cultures minoritaires. Qu'elles s'affirment et gardent leur place dans l'espace européen et mondial.
Nourrissez-vous d'autres passions ?
Je fais un peu de peinture. Rarement du figuratif. Je m'intéresse à l'école de Pont-Aven. Plus simplement, j'aime la pêche et mon jardin.
Et Brest dans tout ça ?
Brest est une ville qui ancre. Une ville où j'ai rencontré quantité de gens formidables. Il y a de la chaleur qu'il faut aller chercher derrière les murs. J'habite une maison au centre avec des arbres autour. Je ne suis pas loin du port. J'y descends quand je déprime un peu. J'aime l'activité portuaire, voir les bateaux arriver, partir.
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