Interview-Sillage : Jacky Bouillol, pianiste de jazz et E des Goristes
Cet article est extrait du Magazine Sillage N°84 - oct. - nov. 2001 |
"Le zef, une langue de marins et de paysans"
Quarante ans de jazz valent bien une fête au Vauban. Ce sera le 9 novembre. Quarante ans d'amour et même un peu plus pour une musique qui l'habite et pour une ville qu'il habite. Depuis toujours ! Pour l'instrument, c'est piano, mais pour le reste, la vie, les potes, c'est allegro. Surtout depuis qu'avec ses complices des Goristes, il fait souffler sur la ville un air on ne peut plus zef, aussi frondeur que frais.
Votre patronyme n'aurait pas un petit air du sud ?
Apparemment, c'est de Saint-Étienne. C'est celui de mon grand père qui avait adopté mon père. Aveugle, il jouait de la musique, de la variété, mais aussi du jazz, et du classique.
Pourtant Brest et Bouillol, ça va bien ensemble ?
Je suis né au PL Recouvrance en 1946 où ma mère était concierge. J'ai appris le basket, c'était génial. Il y avait aussi une salle de théâtre magnifique.
A-t-on dû vous pousser pour faire de la musique ?
Oui, pour le solfège. Il faut être poussé. Je tire mon chapeau à mes parents et à mon grand-père, qui m'a appris à jouer différemment. Très vite, j'ai su accompagner les gens. À 13 ans et demi, je partais faire les bals.
Y a-t-il eu d'autres instruments que le piano dans votre vie ?
Avant tout et tout de suite ça a été le piano. Mon grand-père habitait à 50 mètres et au PLR il y avait un vieux piano qui était bien un peu pourri mais on faisait avec.
Comment êtes-vous tombé dans le jazz ?
C'est grâce à mon cousin Henri qui était déjà au premier Hot Club de Brest, et aussi dès que je l'ai entendu ça m'a plu. Je me suis battu, verbalement s'entend, avec mes potes qui aimaient le rock.
Déjà anti conformiste ?
Si on veut, mais je ne rejette aucune musique. Pourtant même si je joue du blues, il y aura toujours un côté jazz.
Les influences du début ?
La Nouvelle-Orléans, le Middle Jazz, le Hard Bob avec les Jazz Messengers ou Art Blakey, Dave Brubeck, parce qu'il faisait des mesures compliquées. Il faudrait encore citer Oscar Peterson, les Double Six. Après, il y a eu Coltrane, Miles Davis, puis plus tard Herbie Hancock et Chick Corea.
Et les plus récentes ?
La dernière, c'est Petrucciani, mais plus que des influences, ce sont surtout des gens que j'adore comme Richard Galliano à l'accordéon.
Pendant ces 40 années, quels ont été les moments marquants ?
Tous les ans, il se passe quelque chose. Si tout de même, la première partie d'Ella Fitzgerald et Dizzy Gillespie. J'ai joué avec Maxime Saury, Zanini et aussi quinze jours avec Michel Leeb.
Des moments de doute ?
Jamais ! On s'est battu pour que le jazz vive. Ainsi, en 1978 avec Chorus (avec Jacky Gaye et Michel Runarvot) on est allé dans les bistrots. C'était formidable.
Pendant tout ce temps, comment avez-vous évolué ?
On se bonifie avec les rencontres. Et je continue d'évoluer car je travaille en jouant.
Qu'est-ce qui vous a plu dans l'esprit goriste, le melting "potes" ?
Oui ! On fait ça pour rire car musicalement nous sommes assez différents.
Il y a du rire chez les Goristes, mais aussi un soupçon de nostalgie ?
Complètement! Notamment sur notre prochain disque. On parle d'un bateau qui se morfond au quai Malbert, et aussi du bagne de Brest.
Le parler zef, c'est aussi une ambiance, sinon un état d'esprit ?
C'est les bistrots, l'arsenal, une langue de paysans et de marins, une façon de se reconnaître.
Parfois il y aussi des dents qui grincent ?
Bien sûr ! Au départ, ça n'a pas toujours été accepté, mais finalement tout le monde a compris que c'était de l'humour. Mais qui aime bien châtie bien.
Tout ça n'est-il pas difficilement exportable au-delà de Plougastel ?
C'est bizarre, tout le monde nous pose la question. Mais on prend notre temps, on est pédagogue et ça marche à tous les coups.
Dans le monde de la chanson pour qui avez-vous de l'estime ?
Les Goristes ! Sinon, je n'ai pas de préférence sauf Michel Legrand, Sharlubêr, pour la chanson française. Et Brel, Brassens, Bécaud, Aznavour, bien sûr.
Vous êtes prêt à repartir pour 40 ans ?
Plus ! Aucun problème.
En plus de la musique, vous aimez quoi ?
La vie ! Bien manger, et le vin rouge, Bourgogne surtout.
Et Brest dans tout ça ?
C'est une ville que j'adore. Avec cet accent terrible, cette histoire terrible. C'est une ville où tu rencontres des gens très différents au niveau de la culture et des centres d'intérêt. Musique ou théâtre, il existe une multiplicité de talents. C'est aussi une ville où les musiciens s'apprécient au-delà des générations et des genres.
Voir aussi
- Interview-Sillage : Christian Desnos, chanteur, musicien et G des Goristes
- Site officiel des Goristes
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