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Brest et la franc-maçonnerie

    Edition N°1.jpg Cet article est extrait du magazine Patrimoines brestois


Un engagement dans la cité

Tablier de franc-maçons - XVIIIe siècle

L'histoire de la franc-maçonnerie moderne commence officiellement à Londres le 24 juin 1717 par la réunion de quatre loges qui se constituent en Grande Loge d'Angleterre. Mais la franc-maçonnerie remonte à des temps beaucoup plus anciens et est issue vraisemblablement des loges des Maçons "opératifs", bâtisseurs du Moyen-Age qui, peu à peu, admirent dans leurs rangs des Maçons "acceptés" non professionnels.

Très vite la franc-maçonnerie va s'étendre en France ou une première Loge est ouverte à Paris en 1726. Elle se développe très rapidement et particulièrement dans les ports militaires, lieux d'échange de population par excellence.

C'est ainsi qu'en 1772 on dénombre 41 loges à Paris, 169 en province, 11 aux "colonies", 5 à l'étranger et 31 loges militaires. A Brest, la franc-maçonnerie est certainement antérieure à 1745 puisque cette même année, le 4 décembre, est crée "L'Heureuse Rencontre" qui réunit plusieurs loges existantes. En 1783 se crée la Loge "Les élus de Sully" du nom d'un régiment d'artillerie qui deviendra ensuite "Les Amis de Sully", loge qui travaillera à Brest sans interruption jusqu'à aujourd'hui.

Comme l'écrit Jean-Yves Guengant dans son livre "Brest et la franc-maçonnerie" : "L'histoire de la loge de Sully peut parfois se confondre avec celle de la ville de Brest". En effet, tout au long de son histoire, les membres de la
Tablier d'Apprenti - XIXe siècle
loge de Sully sont restés fidèles aux engagements du Grand Orient de France qui exigent de ses membres non seulement de s'améliorer soi-même mais surtout de travailler à l'extérieur du temple pour faire progresser l'homme et la société.

De nombreux maires de Brest furent francs-maçons (24), le premier député républicain de Bretagne, Emile Goude, faisait partie de la loge des "Amis de Sully". Mais les francs-maçons brestois ne s'engagèrent pas seulement en politique. On les retrouve à l'origine des premiers syndicats, des œuvres de jeunesse, des mouvements coopératifs, des patronages laïques. Cette tradition, ces engagements perdurent. Aujourd'hui, toutes les obédiences sont présentes à Brest. Les femmes et les hommes qui travaillent dans les loges brestoises sont des membres actifs de la société au côté des autres organisations démocratiques et dans le respect des idées de chacun. Mais les francs-maçons restent vigilants et, avec d'autres, continuent à défendre les idéaux de notre république sociale et laïque.

Le Grand Orient de France a la même devise que la France "Liberté, Egalité, Fraternité".

Auteur : Yannick Michel, ancien Grand Maître adjoint du Grand Orient de France, ancien adjoint au maire de Brest.

Splendeur et misère de la maçonnerie sous l'Empire : Brest, 8 germinal an XIII

Un salon transformé en temple maçonnique

Rituel d'apprenti - XVIIIe siècle

Cela se passe donc à Brest le 29 mars 1805, dans quelque salon de la société l'Athénée, transformé en temple maçonnique à l'occasion de la mort de l'Amiral Étienne Eustache Bruix Wikipedia-logo-v2.svg, survenue une dizaine de jours plus tôt. Afin de rendre "au Grand Capitaine, au Marin distingué, à l'Homme d’État, au bon Père de Famille" que fut Bruix tous les honneurs dus à son rang, une fête funèbre a lieu ce jour-là, qui rassemble les principales loges de la ville, sous les auspices, sinon du Grand Architecte de l'Univers, du moins de Napoléon Bonaparte, Empereur. Un cénotaphe est installé au centre de la pièce, entouré de fleurs et surmonté d'une pyramide au-dessus de laquelle "planoit l'Aigle, symbole précieux à plus d'un titre". Un document remarquable, conservé à la Bibliothèque d’Étude, retrace cet événement mémorable : il s'agit d'un fascicule publié par la loge L'Heureuse Rencontre en 1805 sous le titre A la mémoire du R. F. Bruix. [1]

Un ordre inféodé au pouvoir en place

Après les tourmentes de la Terreur dont, exsangue, elle s'est relevée péniblement, la maçonnerie affiche désormais un lustre nouveau et, forte du soutien des Cambacérès et autres Roëttiers de Montaleau, elle peut s'enorgueillir de la présence en son sein des plus hauts dignitaires de la société française de l'époque. A Brest, comme ailleurs, les prestigieux corps civils et militaires de l’État garnissent donc les "colonnes" [2], à l'instar de Bruix lui-même, dont l'initiation à L'Heureuse Rencontre remonte à 1783, et qui fut ministre, Conseiller d’État et Amiral. Ce 29 mars 1805, les "frères" venus lui rendre hommage sont aussi ses pairs, tels Ganteaume, Amiral, Conseiller d’État et Grand Officier du Grand Orient de France. Après avoir accueilli notamment la loge des Elus de Sully, les loges militaires et les francs-maçons en visite, le "vénérable" Guilhem qui préside la séance prend la parole et prononce une oraison funèbre aux allures de panégyrique à la gloire de l'Empereur : "O NAPOLEON ! toi qui pour le bonheur de la France, as fondé, sur des bases inébranlables, le seul Gouvernement qui lui convient ; toi qui, dès l'aurore de ton règne, as fait cesser les haines et les dissentions [sic] qu'entraîne après elle une révolution délirante (...)". Une dévotion similaire est exprimée à la suite par Sibert de Cornillon, "Orateur" de cette même loge : "O toi Napoléon ! dont les soins paternels s'étendent sur les rejetons de ce Ministre que nous pleurons en ce jour (...) toi que nous chérissons comme le meilleur des Princes et le plus grand des Rois (...)". Curieuse image que cette maçonnerie inféodée au pouvoir en place et qui, quelques années plus tard allait s'associer corps et âme au destin de la République, jusqu'à reprendre à son propre compte la devise "Liberté, Égalité, Fraternité". Nous n'en sommes pas là, et en ce début de siècle, l'heure est plutôt à la soumission complaisante qu'à la révolte républicaine. Encore faut-il préciser que l'"Ordre"était alors étroitement contrôlé : surveillance policière, institutionnalisation forcée, nomination par le pouvoir aux postes à responsabilité. Il s'agissait en effet pour Napoléon de façonner l'opinion publique par le biais de ce vaste réseau de fonctionnaires, de magistrats, de militaires réunis au sein de ce qu'il faut bien appeler un "parti officiel" [3].

Une laïcisation progressive

Misère de la franc-maçonnerie ? Certains ont prétendu que "la maçonnerie impériale [était] brillante, mais creuse, et vide de toutes réflexions philosophiques" [4]. Sans doute ce jugement peut-il être nuancé, ne serait-ce - justement - que par le discours de l'Amiral Bruix, prononcé initialement le 24 juin 1790, qui fut lu lors de la fête funèbre de 1805. La "planche" [5] en question revient sur la signification profonde de l'engagement maçonnique, depuis l'expérience initiatique jusqu'à la pratique active de la solidarité, celle-là même qui fait de la maçonnerie, aux yeux de Bruix, la véritable religion, au sens étymologique [6], c'est-à-dire la liaison entre les hommes. Pour étayer son propos, l'auteur reprend à nouveaux frais quelques motifs vétérotestamentaires - le déluge, Babel, moments désastreux auquel seuls les principes maçonniques auraient réchappé. "Car, n'en doutez pas, ce petit nombre d'hommes échappés du déluge, étoient de vrais Maçons"[7]. Dans une étonnante réinterprétation du récit biblique, Bruix replace donc au cœur de l'aventure humaine et de ses vicissitudes la franc-maçonnerie et la permanence de ses principes moraux, ce qui lui permet d'affirmer qu'elle "n'est autre que la plus ancienne et, j'ose le dire, la plus pure des religions (...), la seule qui, de la source des siècles, soit venue jusqu'à nous sans altération" [8]. Pour autant, cette parabole n'est qu'une hypothèse invérifiable, un récit proprement fictif, un artifice de pensée à l'aune duquel les actions des Francs-maçons doivent, ici et maintenant, être mesurées. Bien qu'ayant substitué le Grand Architecte de l'Univers au Dieu biblique, Bruix invite en effet ses frères à ne point se borner "à une stérile croyance sur l'existence du Grand Arch[itecte]". Il s'agit au contraire pour les maçons de "prouver [leur] foi par [leurs] œuvres"[9]. Par où l'on voit, imperceptiblement, que la maçonnerie brestoise, à la charnière entre les XVIIIème et XIXème siècles, tout en plongeant ses racines dans la tradition judéo-chrétienne, s'en détacha peu à peu pour emprunter la voie qui fut la sienne dans les décennies qui suivirent : celle de la laïcisation progressive de la pensée et du libéralisme politique.

Auteur : Nicolas Tocquer


  1. A la mémoire du R. F. Bruix, Ex-Ministre, Conseiller d’État, Grand Officier et Chef de la 13ème Cohorte de la Légion d'honneur, Amiral de la Flottille Impériale de Boulogne, Orateur de la R. F. l'Heureuse Rencontre, BMB, RES FBC511. Les abréviations R. F. et R. F. signifient respectivement "Respectable Frère" et "Respectable Loge". Ce document, qui contient une description du temple, un compte-rendu de la fête funèbre et les principaux discours prononcés, est partiellement cité par Louis Delourmel, Histoire anecdotique de Brest à travers les rues, Les Éditions de la Tour Gile, 1923, rééd. 1995, p. 208 sq., lui-même cité par Jean-Yves Guengant, Brest et la franc-maçonnerie, Armeline, 2008, p. 77 sq.
  2. "Garnir les colonnes" signifie, pour les francs-maçons, assister à une réunion maçonnique ou "tenue". Plus largement, l'expression désigne l'appartenance à la franc-maçonnerie.
  3. Pierre-François Pinaud, article "Empire (Premier) (1804-1815)", in Eric Saunier (dir.), Encyclopédie de la franc-maçonnerie, Le Livre de poche, 2000, p. 259
  4. Ibid, p. 260.
  5. Une "planche" ou "morceau d'architecture" est un texte préparé par un Franc-maçon pour être lu en loge.
  6. En latin, relego, relegere, signifie recueillir, rassembler.
  7. Op. cit. p. 17.
  8. Ibid. p. 19.
  9. Ibid. p. 19


Une histoire maçonnique bien ancrée

Point n'est besoin d'insister sur les liens importants entre Brest et la franc-maçonnerie. Situation géographique, présence de ports de guerre et de commerce, embarquements de corps expéditionnaires (dont les transports de troupes lors de la guerre d'Indépendance américaine), tous ces facteurs expliquent le fort développement de l'activité maçonnique à Brest.

La date retenue pour la création de la première loge, "L'Heureuse Rencontre" est 1745, mais il est probable qu'elle remonte au début du XVIIIème siècle. Celle des "Élus de Sully" commence ses travaux en 1783. Par ailleurs, sur 250 ans, Jean-Yves Guenguant, auteur d'un livre somme sur le sujet, dénombre pas moins de 26 maires francs-maçons (Hyacinthe Bizet, Victor Aubert, Hippolyte Masson, Léon Nardon...).

Louis XVI donnant des instructions à La Pérouse

La franc-maçonnerie brestoise s'est toujours intéressée au développement de sa ville ainsi qu'à son rayonnement culturel : elle a joué un rôle important dans la création de l'Académie de Marine, dans le développement du jardin botanique de l'hôpital maritime. De grands marins comme Bougainville, La Pérouse ou encore Fleuriot de Langle y ont été initiés. Les Archives municipales et communautaires conservent le fonds de la loge des "Amis de Sully", grâce au don fait, voilà plus de dix ans maintenant, par l'intermédiaire de Jean-Yves Guenguant. La valeur du don prend tout son sens lorsque l'on sait l'attention portée par les loges à leurs archives. Leur perte est assimilée à un drame. Ces archives, et tout particulièrement les registres et les règlements, sont des éléments extrêmement précieux pour les fondements de l'histoire maçonnique.

Le don initial de 1998 a permis de conserver une série de registres des séances de 1824 à 1911[1], des documents ayant trait à diverses fêtes dont une fête solsticiale et un rite d'initiation au grade d'apprenti daté de 1785. Un don complémentaire, qui s'est étalé de 2006 à 2008, rassemble essentiellement des documents d'après-guerre : suite des registres de séances (jusque dans les années 1980), bibliothèque de revues maçonniques (jusque dans les années 2000), un dossier sur la reconstruction de la loge et des compléments ponctuels sur les archives du XIXème siècle.

Deux bannières constituent un autre élément important et original de ce don. A ce jour, il semble que ce soit l'unique bannière de ce type recensée dans une institution publique à la différence de bannières mieux connues comme les bannières religieuses, syndicales ou encore associatives. Elles sont malheureusement en mauvais état. Les Archives municipales et communautaires réfléchissent aujourd'hui à la meilleure manière de les restaurer.

Les chercheurs ont donc à leur disposition une matière riche pouvant servir à de nombreuses recherches. Cependant, il est important de noter que la consultation ne peut se faire qu'après l'autorisation du donateur, surtout en ce qui concerne la partie la plus contemporaine du fonds.

Auteur : Christine Berthou-Ballot

  1. Le complément des registres de séances (1783-1813) est conservé aux Archives départementales du Finistère, à Quimper et répertorié sous la cote 40J.

Extrait du Patrimoines Brestois N°7 - La franc-maçonnerie à Brest - Printemps 2009

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